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lundi 12 novembre 2018

Voile intégral, religions et liberté


Vous avez sans doute entendu parler d’une décision du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies présentée partout comme un nouveau rebond de l’affaire Babyloup. Il y a quelques jours, la presse s’est de nouveau fait l’écho d’un autre rapport de l’institution onusienne, épinglant une nouvelle fois la France pour « atteinte à la liberté religieuse ».

Selon ces experts, l’interdiction du port du voile intégral et les limites possibles au port d’un signe religieux au travail conduisent la France à violer la liberté des croyants.

Nous pourrions balayer d’un revers de main les avis de ce Comité onusien. Ils ne représentent ni de véritables sanctions ni de réelles condamnations au sens où l’entendent ceux qui les ont obtenus. Les mesures visées ont par ailleurs donné lieu à des validations régulières, tant des juges nationaux que de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est solide.

A vrai dire, ces 2 avis posent d’autres questions. Dans un contexte international favorable aux libertés individuelles, il semble que des ennemis de la démocratie instrumentalisent à nos dépends notre culture des droits de l’Homme. L'enjeu ? Une forme de séparatisme, non pas régional mais idéologique.

Alors, l’interdiction du voile intégral est-elle réellement juste ? La laïcité est-elle une protection insuffisante contre le terrorisme ? Faut-il interdire le salafisme ? Reste-t-il une place pour la vision française de la démocratie républicaine, pour l’intérêt général, la responsabilité sociale et au-delà… le bien commun ?

A propos de la loi d’octobre 2010 sur la dissimulation du visage

La presse internationale parle, sans véritablement la saluer, de « décision historique contre la France ». Aux yeux des observateurs anglo-saxons, les constatations du Comité des Nations Unis anéantissent le principe de laïcité, notamment en ce qu’il aurait conduit au vote de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Or, cette loi n’est nullement fondée sur la laïcité. Ce que défend la loi par l’interdiction qu’elle édicte, c’est notre attachement à la Nation, à un modèle social fondé sur la dignité de la personne humaine…

« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Par cette proclamation assez solennelle, la loi entendait rappeler que la dissimulation volontaire et systématique du visage est tout simplement contraire aux exigences fondamentales du vivre ensemble, contraire à l’idéal de fraternité. Une telle pratique ne satisfait pas davantage à l'exigence minimale de civilité nécessaire à la relation sociale. Le législateur ne cache pas qu’il vise en particulier le voile intégral. Ainsi l’exposé des motifs de la loi (lire ici), défend-il que le voile intégral, « porté par les seules femmes » constitue une « atteinte à la dignité de la personne[et] va de pair avec la manifestation publique d'un refus ostensible de l'égalité entre les hommes et les femmes » ; « il ne s'agit pas seulement de la dignité de la personne ainsi recluse, mais également de celle des personnes qui partagent avec elle l'espace public et se voient traitées comme des personnes dont on doit se protéger par le refus de tout échange, même seulement visuel. »

Après, ne nions pas que cette loi est sans impact sur notre pratique de la liberté religieuse. En France, exprimer ses convictions, même religieuses, est libre, dans la mesure où leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Dès lors, le vote de la loi de 2010 a pour conséquence il est vrai de limiter la liberté de porter le voile intégral. La liberté religieuse cède devant l’ordre public, car la laïcité garantit l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient les convictions.

De ce fait, les juges européens ont reconnu cette interdiction générale (non exclusive du voile intégral) comme l’une des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou encore à la protection des droits et libertés d’autrui. Elle constitue ainsi une limite acceptable à une liberté individuelle. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2010, 2000 femmes portant un niqab ont fait l’objet d’une contravention. Mais l’arrestation toute récente du braqueur en cavale Redouane Faid, caché sous un niqab, n’a pas manqué de faire sourire les spécialistes : cette exemple prouve qu’il n’est pas systématiquement question d’exercice de la liberté de religion !

La France, le voile intégral, la liberté de religion et la lutte contre le terrorisme

Beaucoup de gens demandent dans quelle mesure le Coran demande aux femmes de se voiler. Les interprétations des uns valent celles des autres. A notre niveau, ce qui importe, c’est de savoir et de bien mesurer que le port d’un voile intégral par les femmes est un marqueur de pratiques religieuses rigoristes, pratiques qui caractérisent les courants salafistes présents en France. Et ces mouvements eux-mêmes ne sont pas unifiés.

Les spécialistes distinguent 3 formes de salafisme. D’abord l’approche « piétiste » (ou salafisme quiétiste), dont les adeptes demandent a priori à vivre pacifiquement en France selon les préceptes de leur religion. Ces personnes sont souvent tancées et instrumentalisées par un deuxième courant connu à travers les « Frères musulmans » qui recherchent le pouvoir par les voies démocratiques. Très revendicatif, notamment contre la laïcité présentée comme principe antimusulman, ce courant politique est à l’origine de nombreuses actions en justice pour discrimination. Leurs victoires contre des mesures considérées comme discriminant les musulmans (burkini, menus à la cantine et autres) nous sont bien connues. Enfin, il existe un salafisme révolutionnaire, qui entend lui prendre le pouvoir et imposer la Charia à n’importe quel prix, je vous laisse faire le lien, il ne s’exprime pas dans les urnes.

Le port du voile, et du voile intégral, justifié au nom de la liberté religieuse donne à voir, parmi d’autres revendications, le poids de ces courants dans les villes françaises. De fait, bien que souvent mal comprise, la laïcité permet de manifester librement sa religion. Les salafistes utilisent cette liberté pour interroger notre modèle social et provoquer des discriminations qui renforcent leurs droits. C’est ainsi qu’a été saisi le Comité des Nations Unies. Des voix s’élèvent alors pour limiter non pas les pratiques rigoristes de ce mouvement, mais directement d’interdire le salafisme pour ce qu’il est. C’est dans ce but que l’on parle de réforme de la laïcité. Or la laïcité est d’abord une liberté…

En effet, il est dans l’état du droit impossible d’intervenir sans constater des infractions ou au minimum des troubles à l’ordre public. La liberté de culte est première. Il n’y a possibilité d’action pour l’Etat que lorsque le trouble à l’ordre public est avéré, ou que des actions relevant d’infractions pénales sont constatées. Ainsi peut-on verbaliser les femmes portant le niqab, ou encore fermer des lieux de cultes recevant des prédicateurs extrémistes, eux-mêmes expulsés s’ils étaient étrangers. Succédant à l’état d’urgence, la loi SILT a ajouté quelques mesures de police administrative qui confortent ces pratiques (cf. aussi fermeture récente mosquée de Grande-Synthe confirmée par le Tribunal Administratif). Mais pas interdire un groupe religieux.

De la pratique complexe de la liberté

En France, la liberté se définit comme une responsabilité sociale : elle consiste en un pouvoir d’agir limité par, en quelque sorte, la conscience de l’autre. Face à la liberté individuelle, la République proclame que la liberté est de faire ce qui ne nuit pas à autrui. La loi ne peut ainsi interdire que ce qui nuit. Et on est libre ainsi, si l’on applique la loi, cadre de vie donné au peuple par le peuple.

La loi de 2010 interdisant la burqa est ainsi fidèle à cette vision de la liberté. On ne peut pas faire ce qu’on veut dans notre République, au mépris de toute convenance sociale et du respect des autres. Limiter une liberté individuelle est possible, au nom de notre « ordre public », cette notion juridique qui caractérise une vie sociale paisible et sereine.

Dans les pays anglo-saxons, c’est la liberté individuelle qui prime. Avec des conséquences pratiques très différentes : campagnes publicitaires où le voile est porté dès le plus jeune âge, dans les pratiques sportives, au travail…

Dans les pays autoritaires, que l’on retrouve parmi les défenseurs de la liberté religieuse, être libre signifie pourtant aussi appliquer la loi… à la seule différence qu’elle n’est pas le produit d’un geste démocratique, mais qu’elle s’impose à tous car venue de Dieu, ou proclamée par des hommes qui se prétendent inspirés par Dieu.

C’est de ce point de vue-là le message même des fondamentalistes religieux. Pour eux, la République elle-même est en quelque sorte le grand Satan : elle conduit à attribuer au peuple un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu, faisant de toute personne acceptant la situation un horrible associateur, coupable selon le Coran du plus grave des crimes. Ainsi se justifie de fuir la France pour vivre dans un pays musulman, ou de prendre les armes.

Alors c’est vrai, la laïcité, en ce qu’elle permet d’abord d’exprimer librement ses convictions religieuses, apparaît comme un principe faible face à la menace que représente finalement cet absolutisme de la liberté. Et ceux qui la défendent, comme moi, sont souvent qualifiés de doux dingues. Mais ceux-là se trompent. Ce n’est finalement pas la laïcité qui est le principe le plus menacé dans l’histoire. Ce qui est menacé, c’est la liberté, la démocratie, l’intérêt général… et à travers eux notre conception même de la vie sociale, au-delà de l’expression des convictions religieuses. Mais pour ça, encore faut-il que la République s’honore de compter, parmi ses citoyens, des femmes et des hommes qui pensent que leur vie a plus de valeur que le temps qu’ils ou elles passent sur cette terre. Ces personnes ont en commun d’être croyants, et ils ont, aujourd’hui comme hier, un rôle important à jouer pour sauvegarder l’essentiel.

samedi 24 mars 2018

Tatouages, barbes et laïcité

Avec le "boom du tattoo" observé chez les jeunes (près de 25% des - de 35 ans s'avouent tatoués), la question du port d'un signe religieux sur la peau m'est souvent posée en formation. Qu'en serait-il alors pour le fonctionnaire, dont le tatouage religieux visible paraît peu compatible avec le principe de neutralité. Nous avons un embryon de réponse avec une récente instruction de la Direction général de la Police Nationale, même si elle ne vaut que pour les fonctionnaires concernés.

Quant au port de la barbe, et même s'il s'agit d'un cas d'espèce très particulier, une décision de la CAA de Versailles apporte des éléments de réflexion qui pourront être utiles.

Instruction de la Direction générale de la Police Nationale du 12 janvier 2018 relative au port des tatouages, barbes et moustaches, bijoux ou accessoires de mode par les personnels affectés dans les services de la police nationale (NOR: INTC1801913J).
On y apprend que "les tatouages, qu’ils soient permanents ou provisoires, ne sauraient être admis dès lors qu’ils constituent un signe manifeste d’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative ou s’ils portent atteinte aux valeurs fondamentales de la Nation. Il en est de même s’agissant de tout élément, signe ou insigne ostentatoire de même nature qui serait porté par la personne. Les tatouages visibles du public, qui n’entrent pas dans la catégorie précédente, ne doivent pas dénaturer ou compromettre la relation du policier avec les usagers. Le cas échéant, ce tatouage sera masqué quelle que soit sa tenue, lorsque le policier est en contact avec le public ou lorsqu’il est en tenue d’uniforme. Par ailleurs, la coupe de cheveux, les moustaches ou la barbe doivent demeurer courtes, soignées et entretenues, sans fantaisie (…)." 

Cour administrative d’appel de Versailles 19 décembre 2017
Validation de la résiliation de la convention avec un stagiaire égyptien portant une barbe particulièrement imposante, accueilli par un centre hospitalier, ayant fait l’objet d’une mesure disciplinaire prise par le directeur de l’établissement public devant son refus de la tailler.

« Considérant que le port d’une barbe, même longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d’appartenance religieuse en dehors d’éléments justifiant qu’il représente effectivement, dans les circonstances propres à l’espèce, la manifestation d’une revendication ou d’une appartenance religieuse ; qu’en l’espèce, la direction du centre hospitalier, après avoir indiqué à M. A...que sa barbe, très imposante, était perçue par les membres du personnel comme un signe d’appartenance religieuse et que l’environnement multiculturel de l’établissement rendait l’application des principes de neutralité et de laïcité du service public d’autant plus importante, lui a demandé de tailler sa barbe afin qu’elle ne soit plus de nature à manifester, de façon ostentatoire, une appartenance religieuse ; que les demandes formulées par le centre hospitalier auprès de M. A...étaient justifiées par la nécessité d’assurer, par l’ensemble du personnel, le respect de leurs obligations en matière de neutralité religieuse ; qu’en réponse à ces demandes, M. A...s’est borné à invoquer le respect de sa vie privée sans pour autant nier que son apparence physique était de nature à manifester ostensiblement un engagement religieux ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public, alors même que le port de sa barbe ne s’est accompagné d’aucun acte de prosélytisme ni d’observations des usagers du service ; qu’un tel manquement était de nature à justifier une mesure disciplinaire ; que, par suite, la sanction de résiliation de la convention qui lui a été infligée n’était pas disproportionnée mais légalement justifiée par les faits ainsi relevés à son encontre »


mercredi 14 octobre 2015

Laïcité : Noël redeviendrait-il chrétien ?

A quelques instants de la trêve hivernale des expulsions, le sort du petit Jésus n'est pas définitivement tranché. S'il restera installé douillettement dans sa crèche, c'est la place de celle-ci qui pose encore question. Deux décisions de la juridiction administrative, séparées de quelques heures et d'environ 350 kilomètres, viennent en effet de relancer le débat sur le caractère religieux de cette représentation naïve de la Nativité.

La culture chrétienne est-elle une expression religieuse ?

vendredi 28 août 2015

L'Eglise, Le Pen, les chrétiens. Et moi.

C’est Noël pour la presse nationale, et la fête s’étend jusqu’en Belgique et peut-être bientôt ailleurs. C’est d’ailleurs sans aucun doute ce qu’il y a de plus catholique dans cette histoire (rappel : Noël est une fête chrétienne). Pour les responsables mais aussi pour les participants des Universités d’été de la Sainte Baume, c’est plutôt Vendredi Saint, même si la couverture médiatique de leurs rencontres jusqu’ici assez confidentielles pourrait les satisfaire.

mardi 12 mai 2015

Laïcité et expression religieuse en France : 2015, année zéro

Il y a quelques semaines, j’ai accepté l’invitation de l’association « Les Alternatives Catholiques » à participer à un atelier sur « La laïcité est-elle un « outil de gestion » pour les pouvoirs publics ou une religion d’Etat ? ». (plus d'infos)

Ce fut l’occasion de réunir quelques éléments de synthèse sur le sujet, sur lequel vous pouvez lire sur ce blog quelques chroniques régulières. Au moment où la France perd de vue que sa laïcité est une promesse de liberté, se laissant convaincre qu’elle signifie le refus de toute religion, il m’est apparu opportun de vous proposer le feuilleton des questions qui ont été soulevées lors de cette soirée. Les voici donc pèle-mêle.

Comme ces billets reprennent des notes prises, la forme est souvent orale, et les références absentes. Je promets de faire le nécessaire pour mettre à jour ces billets et ne léser aucun auteur. Enfin, l’auditoire étant chrétien, cela explique l’orientation des conversations. Que personne n’en prenne ombrage. A bientôt !

Première question : La laïcité est-elle applicable à l’intégralité du territoire français ?

Si la laïcité signifie la liberté de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire, alors oui, elle s’applique sur tout le territoire de la République ! Par contre, s’il l’on parle ici des principes de la loi de 1905 dite de séparation des églises et de l’Etat, alors elle ne concerne pas tout à fait toute la République.

dimanche 11 janvier 2015

Je pense donc je suis

Depuis quelques heures chacun redécouvre que notre République est fondée sur 3 valeurs qui ne sont pas sorties spontanément des cœurs de nos pères fondateurs, que l'on désigne ainsi les hommes réunis dans la salle du Jeu de Paume ou les Résistants et Français Libres.

Il était temps de se réveiller ! Nous ne faisons pas société ensemble au nom de la sécurité, au nom du marché, au nom du Parti, au nom d'une foi... Nous ne vivons pas ensemble pour nous protéger de l’étranger, de l’obscurantisme ni même de la finance. Ni pour réduire les inégalités, ou encore pour le droit d’informer, le droit d’offenser, le droit de se marier... Notre République n’est pas le produit d’une indignation, mais d’une prise de conscience, gravée au cœur de nos textes constitutionnels et dans la lointaine mémoire d’un toujours plus petit nombre d’entre nous.

mercredi 3 décembre 2014

Boeuf, âne gris et juge administratif (Noël, une fête chrétienne)

La presse s'est fait écho d'une décision rendue par le Tribunal administratif de Nantes. En cause le silence du Conseil départemental de Vendée à propos d'une crèche installée dans le hall de la maison commune (voir par ex. : Un tribunal interdit la crèche au Conseil général de Vendée). D'autres situations de ce type sont venues depuis sur le devant de la scène.

En réalité, il n'est pas surprenant que le juge réaffirme le sens de la neutralité du service public, sans trahir les décisions du Conseil d'Etat qui portent soit sur la manifestation d'idées politiques (cf. Commune de Sainte Anne 27 juillet 2005 - neutralité des édifices publics) ou sur la définition du caractère religieux d'une manifestation (lire ici un précédent billet), ou d'une crèche de Noël (souvenez-vous, à Paris en 2011 : ici).

lundi 16 juin 2014

Baby-Loup : vers une neutralité pour les salariés du secteur privé ?

Contre toute attente, selon les préconisations du Procureur de la République rendues publiques le 7 juin (ici), la Cour de Cassation va sans doute rejeter le pourvoi de la salariée de la crèche privée Baby-Loup, licenciée pour faute lourde parce qu'elle portait un voile islamique au travail. Les événements datent de 2008.

Si la neutralité figurait au règlement intérieur de l'établissement, la Cour de Cassation avait il y a un peu plus d'un an donné une suite favorable à la contestation de la salariée, rappelant que dans une entreprise privée, cette exigence était démesurée et constituait finalement une discrimination en raison des convictions religieuses (lire ici mon billet sur ce blog).

Patientons jusqu'à la décision, déjà promise d'être confiée aux bons soins de la Cour de Strasbourg...

jeudi 27 mars 2014

La démocratie confisquée (repost)


Chers lecteurs, je m'aperçois que je ne vous ai pas souhaité une "bonne année". D'autres l'ont fait à ma place me direz-vous. Ceux que nous avons choisi (ou pas) pour diriger notre pays notamment. Ceux qui nous assurent exemples à l'appui, que nous vivons grâce à eux dans une paisible démocratie occidentale. Ceux qui peuvent faire ce qu'ils veulent, puisque c'est pour cela que nous les avons élus.

Mesdames, Messieurs, apprenez que la démocratie ne se réduit pas à l’élection. Grâce à vous et à vos compères, prédécesseurs et annoncés successeurs, nous vivons aujourd’hui un avatar de régime autoritaire, fondé sur le clientélisme et un système de castes.

jeudi 28 novembre 2013

La laïcité est-elle une religion ?

En France, la laïcité est la liberté de croire ou de ne pas croire. Ce souci principal du respect des convictions de chacun a conduit au développement d’une pensée autonome et étonnante selon laquelle « ne pas croire » se revendique comme une religion. C’est du moins ce qu’il faut retenir de la décision surprise de la Cour d’appel saisie du renvoi de l’affaire dite Baby-Loup.

En effet, si l’on s’en tient aux gazettes et au propos de l’avocat de la société, la Cour reconnaît Baby-Loup comme une « entreprise de tendance », en ce qu’elle entend imposer à ses salariés la neutralité religieuse. Pour mémoire, une telle entreprise est une structure à laquelle attachée une doctrine impliquant un parfait respect, si ce n'est en conscience, du moins en comportement du salarié, notion qui ne s’était jusqu’ici appliquée qu’en matière religieuse. C’est donc établi, « ne pas croire » est une religion !

mercredi 30 octobre 2013

Harcèlement, violence : ce n'est pas la faute de l'école

Hasards de l’actualité et de la programmation des chaines TV, mardi 29 octobre le tribunal correctionnel de Tarascon relaxait l’enseignante dont l’élève s’était accidentellement pendu à un porte-manteau, tandis que France 5 diffusait un documentaire poignant sur le harcèlement à l’école.

Quel rapport me direz-vous ? Au-delà d’une unité de lieu, l’établissement scolaire, d’une vague unité d’action (un décès accidentel par pendaison contre un suicide au fusil de chasse), deux questions saisissantes : où sont les adultes dans les écoles ? pourquoi la justice ne condamne pas l’école ?

jeudi 20 juin 2013

Neutralité, laïcité... Que reste-t-il de la liberté de conscience ?

En postant une nouvelle fois le lien vers mon article sur la réception par le Pape François d'une délégation de parlementaires français, j'annonçais une série à venir sur la laïcité en France. Je préparais en effet quelques éléments sur l'expression religieuse des enfants dans les accueils collectifs de mineurs. Et ma TL attire mon attention sur les déclarations du député "Bleu Marine" Gilbert COLLARD, l'avocat marseillais bien connu, le mercredi 19 juin devant la Commission des lois de l'Assemblée nationale.

Il s'exprimait dans le cadre de l'examen de la proposition de loi déposée par quelques députés de l'UMP, parmi lesquels François FILLON, relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations (texte intégral).

mardi 9 avril 2013

Valeurs du service public : "Au loup ! Au (Baby-)loup !"


C’est peu de le dire, la décision de la Chambre sociale de la Cour de Cassation dite « Baby-Loup » a jeté le trouble dans une réflexion déjà complexe sur la place des valeurs républicaines dans notre quotidien. Interrogée sans cesse par de nouvelles expressions de la religiosité, notre société, dans laquelle les croyances "historiques" se sont sécularisées, répond avec une vision de la laïcité qui correspond à un moment de son histoire. A cela s’ajoutent les doutes sur les motivations réelles de cette nouvelle visibilité d’un sentiment intérieur, la foi, que semble rendre nécessaire la quête d’une certaine reconnaissance autant individuelle que communautaire.

En parallèle des enjeux sociétaux, la pratique administrative française est régulièrement bouleversée par les réglementations européennes sur les services d’intérêt général, qui poussent à la marchandisation des nombreux services publics. Comme un fan de rugby pourrait réponde à un supporter de football, la France situe sa position sur le plan des « valeurs du service public », érigeant en code moral les principes jadis dégagés par le Professeur Rolland : égalité, adaptabilité et continuité  Longtemps simple corollaire de l’égalité, la neutralité s’impose peu à peu comme un élément indépendant de cette quasi-devise, mais surtout comme une réponse à la fois facile et compliquée aux problèmes que soulève l’expression religieuse.

Solidement, le Conseil d’Etat a rappelé que la neutralité s’imposait à l’administration, comme un droit à l’indifférence au bénéfice des convictions de ses usagers. Ce faisant, le juge administratif confirme que la laïcité est un droit de croire ou de ne pas croire, ouvert au bénéfice de tous et avait pour conséquence le respect le plus absolu de la République envers les religions. Aucune exception, sauf si la religiosité de l’usager occasionne un trouble à l’ordre public ou au fonctionnement normal des services publics.

Mais le même Conseil d’Etat, concernant le cadre particulier des activités éducatives, a pris une toute autre décision. Ainsi, dans le cadre strict des établissements publics de l’Education nationale accueillant des mineurs, toute expression religieuse ostensible est bannie tant du côté des agents (classique) que du côté des usagers. On peut juger excessif que la République protège les enfants non-croyants de ceux qui croient, ou le saluer… mais on doit l’appliquer. Nombreux sont aussi les services éducatifs qui ont choisi d’appliquer volontairement le même principe à leurs activités extra scolaires ou complémentaires.

La Cour de Cassation a pu rappeler à son tour cette nécessaire neutralité pour les personnes travaillant sous contrat de droit privé dans un service public. Mais parce qu’elle concerne le personnel d’une crèche exploitée par une personne privée, elle a considéré que la décision de licencier une femme portant le voile islamique ne peut être justifiée par le principe de neutralité.

La crèche est pourtant sans conteste une activité d’intérêt général. Mais elle n’est pas, au sens de la jurisprudence constante du juge administratif, un « service public » qui se caractérise entre autres par la volonté non équivoque de la collectivité de prendre en charge une activité, un lien entre la collectivité publique et l’exploitant du service. Le fait de pallier l’insuffisance d’accueils publics de la petite enfance, le fait d’accueillir la petite enfance ne sont pas suffisants à permettre d’imposer des « sujétions de service public » à l’association ou l’entreprise, sujétions parmi lesquelles peuvent figurer le respect des « valeurs du service public ».

Au-delà de la petite enfance, la question se pose pour l’ensemble des structures d’accueil de l’enfance et de la jeunesse qui fonctionnent dans un cadre para-public. S’il existe des structures comme Baby-Loup qui revendiquent une certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, la grande majorité des accueils de mineurs dépend de manière contractuelle d’une collectivité territoriale. Et il y a débat. Souvent conclues sous la forme de délégations de service public, ces conventions sont contestées sur la base de leurs éléments financiers qui les font risquer la qualification de marchés publics. Une évolution qui semble inéluctable, aussi au regard du droit européen des aides publiques.

Finalement, le débat évolue alors sur les conditions que les pouvoirs publics pourraient mettre en place pour que les personnes privées candidates à la prise en charge d’une activité éducative. Le code des marchés publics encourage les collectivités à truffer leurs appels d’offres de clauses concernant le développement durable, la place donnée à des travailleurs en situation de handicap… Se pourrait-il qu’il y ait une place pour une clause « valeurs », laquelle impliquerait de la part du prestataire de l’administration l’application volontaire du principe de neutralité ? 

Dans tous les cas, une telle clause serait-elle opposable au droit du travail qui, comme le rappelle la Cour de Cassation, ne fait obstacle à la manifestation d’une appartenance religieuse au bureau ? A moins que le Gouvernement puisse convaincre au-delà de sa majorité, en appui sur une islamophobie galopante, de mettre en pièce la liberté religieuse…

Je n’ai pas encore de réponse documentée à cette question. Mais j’ai promis de la trouver. Ces quelques lignes qui la rende publique sont donc là pour prouver à mon contact que je ne l’ai pas oubliée… Qu’elle me pardonne. Encore...

mercredi 20 mars 2013

Baby-Loup, intérêt général et laïcité

La Chambre sociale de la Cour de Cassation a surpris bien du monde hier, en rendant une décision favorable à la salariée de la crèche "Baby- Loup", qui contestait depuis 2008 son licenciement pour des motifs, selon elle, discriminatoires. Pour mémoire, elle avait perdu son emploi car elle se présentait revêtue d'un voile islamique sur son lieu de travail. Ainsi les magistrats de la Tour de l'Horloge se sont-ils rangés à son analyse, contrariant les juges du fond qui avaient donc appliqué à tord le principe de neutralité des services publics à cette entreprise privée.

lundi 10 septembre 2012

Le droit administratif, pourquoi faire ?



L’activité de l’administration se distingue par principe de l’activité privée. En soi, cela pourrait justifier l’existence de règles spécifiques qui lui permettraient d’agir au nom de l’intérêt général, sans les contraintes des personnes privées.

Une telle situation n’a pourtant pas engendré de droit spécial chez la plupart de nos voisins. S’il est commode aujourd’hui pour l’action publique de bénéficier d’un droit spécifique, autant pour régler son fonctionnement interne que ses rapports avec le public, la raison en est largement historique, et liée aux conséquences de la Révolution. Ce droit particulier qu’est le droit administratif est ainsi né du principe de la séparation des pouvoirs, s’est constitué peu à peu à travers la jurisprudence du Tribunal des Conflits et du Conseil d’État. Ainsi, 3 éléments le caractérisent : son autonomie par rapport aux autres droits (droit privé), son inégalité car l’administration bénéficie de privilèges par rapport aux personnes privées, et son origine prétorienne.

vendredi 18 mai 2012

Déontologie et politique : la charte du gouvernement Ayrault


Au moment où la politique pourrait ne plus être un métier (la campagne a été émaillée de débats autour du non cumul des mandats rappelez-vous), on pourra juger curieux que le Gouvernement emboîte le pas de la justice administrative en s'engageant dans la signature d'une "Charte de déontologie". Chacun sait que parler de déontologie revient à définir l'éthique d'une profession, ce qui est donc contradictoire avec ma première affirmation.

On pourrait aussi y voir un nouveau facteur de collusion avec les médias, friands de chartes de ce style. Pour autant, il faut en convenir, l'idée d'inviter ainsi notre personnel politique à faire preuve d'un certain sens du service public plutôt qu'à leur sens des affaires (personnelles) peut, voire doit séduire. Cependant, le fait que 26 des 34 ministres du jeune gouvernement Ayrault démarrent dès lundi leur campagne législative peut, voire doit ramener à la raison...

mercredi 13 avril 2011

Etat de droit : liberté ou contrainte

Les gens qui me connaissent savent que, même si j’aime parfois m’emporter pour un rien, peu de choses m’énervent vraiment. Parmi celles-ci, les propos qui considèrent que l’ancrage de l’Etat de droit dans notre société représente un frein à la démocratie. Et voilà que je découvre avec consternation que cet argumentaire revient sous la plume d’un conseiller du Palais, joyeusement titré ‘le garrot’ (daté du 1er avril, mais ce n’est pas un poisson). Sous des dehors acceptables (la complexité des normes, contestation du caractère démocratique des institutions européennes, ...), l'auteur s'emballe. Une intervention allègrement classée par les blogueurs du Monde dans la case ‘droite extrême’, à tort ou à raison. Mais ce n’est pas la situation latérale qui compte, mais bien le renouveau d’un discours séducteur accusant le système de garantie des droits des citoyens d’être le principal support de leur aliénation.

dimanche 30 janvier 2011

CSM : nouveau recours pour les justiciables

A n’en pas douter, ces derniers mois marquent une évolution substantielle de notre État de droit. Nous nous garderons de tout emballement, mais après l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité qui permet à tous et à chacun d’obtenir qu’une loi liberticide ayant échappé à tout contrôle puisse cesser de produire ses effets, voici la possibilité pour le justiciable de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Cette démarche est une des innovations de la réforme de cette institution, conséquence de la 24ème révision de la Constitution de 1958, adoptée le 21 juillet 2011.