mardi 12 mai 2015

Laïcité et expression religieuse en France : 2015, année zéro

Il y a quelques semaines, j’ai accepté l’invitation de l’association « Les Alternatives Catholiques » à participer à un atelier sur « La laïcité est-elle un « outil de gestion » pour les pouvoirs publics ou une religion d’Etat ? ». (plus d'infos)

Ce fut l’occasion de réunir quelques éléments de synthèse sur le sujet, sur lequel vous pouvez lire sur ce blog quelques chroniques régulières. Au moment où la France perd de vue que sa laïcité est une promesse de liberté, se laissant convaincre qu’elle signifie le refus de toute religion, il m’est apparu opportun de vous proposer le feuilleton des questions qui ont été soulevées lors de cette soirée. Les voici donc pèle-mêle.

Comme ces billets reprennent des notes prises, la forme est souvent orale, et les références absentes. Je promets de faire le nécessaire pour mettre à jour ces billets et ne léser aucun auteur. Enfin, l’auditoire étant chrétien, cela explique l’orientation des conversations. Que personne n’en prenne ombrage. A bientôt !

Première question : La laïcité est-elle applicable à l’intégralité du territoire français ?

Si la laïcité signifie la liberté de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire, alors oui, elle s’applique sur tout le territoire de la République ! Par contre, s’il l’on parle ici des principes de la loi de 1905 dite de séparation des églises et de l’Etat, alors elle ne concerne pas tout à fait toute la République.
  • En Alsace-Moselle, les cultes sont encore aujourd’hui régis par un droit local issu du Concordat (1802), avec quelques dispositions qui proviennent du droit allemand notamment sur le traitement des ministres du culte. La conservation de ces dispositions dérogatoires à la loi de séparation a été confirmée en 1924. En pratique : 
    • 4 cultes « officiels » (reconnus) : le culte catholique, les cultes protestants luthérien et réformé, le culte israélite, organisés dans les établissements publics du culte placés sous la tutelle de l’Etat, à la fois pour des raisons patrimoniales et pour la nomination de certains personnels du culte, qui est soumise à l’autorisation du Ministre de l’Intérieur (qui les rémunère).
    • Les écoles publiques accueillent un enseignement religieux est dispensé dans les écoles publiques à raison d’2 à 2 heures par semaine (dispense possible à la demande des familles, CQFD pour la laïcité).
    • La question se pose évidemment du statut de l’Islam, qui n’est donc pas un culte reconnu.

  • En Guyane, la référence est une ordonnance de Charles X datant de 1828, avec pour conséquence que seul est reconnu le culte catholique. Depuis 1946, date à laquelle la Guyane devient département, les ministres du culte catholique sont des salariés du conseil général de Guyane. Le fait que l’évêque ait un statut d’agent de catégorie A, et les prêtres de catégorie B, ne manque pas d’animer la vie locale (mise à la retraite d’office de Mgr Lafont et de 28 prêtres en janvier dernier, voir article de La Gazette des Communes).
  • En Polynésie française, Wallis et Futuna, Saint Pierre et Miquelon, en Nouvelle Calédonie et à Mayotte les règles locales sont tirées des décrets-lois Mandel (1939). Le régime cultuel issu des décrets Mandel autorise un financement public du culte. Ces décrets créent une nouvelle catégorie de personnes morales, le conseil d’administration des missions religieuses, pour gérer les biens de ces missions. Placés sous une étroite tutelle de l’Etat, ces conseils d’administration bénéficient d’avantages fiscaux.
Mais alors, comment justifier la pluralité des statuts ?

A l’occasion d’une QPC (21 février 2013) le Conseil constitutionnel a écarté les arguments jugeant non conforme au principe de laïcité (art. 1 de la Constitution) le traitement des ministres du culte protestant en Alsace-Moselle. Une décision paradoxale qui renvoie au législateur la possibilité de mettre fin au régime concordataire, tout en le protégeant au nom du principe même qui permettrait enfin l’harmonisation du droit local des cultes en Alsace-Moselle.

Il s’appuie pour le faire sur l’histoire législative, plusieurs textes intervenus depuis le retour de la région dans le territoire national ayant fait perdurer son particularisme juridique (sur des aspects commerciaux ou patrimoniaux). Depuis 2011 ce particularisme bénéfice en effet de la protection constitutionnelle donnée aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (ils doivent être conciliés avec les autres dispositions constitutionnelles). En outre, le constituant de 1946 et de 1958 en installant la laïcité dans la Constitution, sans par ailleurs changer la situation, n’aurait pas eu la volonté de mettre fin au particularisme local.

Bref, c’est la persévérance du droit local (pourtant reconnu contraire aux dispositions des articles 1 et 2 de la loi de 1905) qui lui confère une valeur constitutionnelle. (pour plus de précisions, lire "Quand le Conseil veut éviter toute discorde sur le front alsacien-mosellan", Combats pour les droits de l'homme 

Question 2 : On entend de plus en plus dire que la religion doit se cantonner dans la sphère privée. Est-ce que c'est ce que signifie la laïcité ?

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Cordialement,
Marc Guidoni