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lundi 12 novembre 2018

Voile intégral, religions et liberté


Vous avez sans doute entendu parler d’une décision du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies présentée partout comme un nouveau rebond de l’affaire Babyloup. Il y a quelques jours, la presse s’est de nouveau fait l’écho d’un autre rapport de l’institution onusienne, épinglant une nouvelle fois la France pour « atteinte à la liberté religieuse ».

Selon ces experts, l’interdiction du port du voile intégral et les limites possibles au port d’un signe religieux au travail conduisent la France à violer la liberté des croyants.

Nous pourrions balayer d’un revers de main les avis de ce Comité onusien. Ils ne représentent ni de véritables sanctions ni de réelles condamnations au sens où l’entendent ceux qui les ont obtenus. Les mesures visées ont par ailleurs donné lieu à des validations régulières, tant des juges nationaux que de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est solide.

A vrai dire, ces 2 avis posent d’autres questions. Dans un contexte international favorable aux libertés individuelles, il semble que des ennemis de la démocratie instrumentalisent à nos dépends notre culture des droits de l’Homme. L'enjeu ? Une forme de séparatisme, non pas régional mais idéologique.

Alors, l’interdiction du voile intégral est-elle réellement juste ? La laïcité est-elle une protection insuffisante contre le terrorisme ? Faut-il interdire le salafisme ? Reste-t-il une place pour la vision française de la démocratie républicaine, pour l’intérêt général, la responsabilité sociale et au-delà… le bien commun ?

A propos de la loi d’octobre 2010 sur la dissimulation du visage

La presse internationale parle, sans véritablement la saluer, de « décision historique contre la France ». Aux yeux des observateurs anglo-saxons, les constatations du Comité des Nations Unis anéantissent le principe de laïcité, notamment en ce qu’il aurait conduit au vote de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Or, cette loi n’est nullement fondée sur la laïcité. Ce que défend la loi par l’interdiction qu’elle édicte, c’est notre attachement à la Nation, à un modèle social fondé sur la dignité de la personne humaine…

« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Par cette proclamation assez solennelle, la loi entendait rappeler que la dissimulation volontaire et systématique du visage est tout simplement contraire aux exigences fondamentales du vivre ensemble, contraire à l’idéal de fraternité. Une telle pratique ne satisfait pas davantage à l'exigence minimale de civilité nécessaire à la relation sociale. Le législateur ne cache pas qu’il vise en particulier le voile intégral. Ainsi l’exposé des motifs de la loi (lire ici), défend-il que le voile intégral, « porté par les seules femmes » constitue une « atteinte à la dignité de la personne[et] va de pair avec la manifestation publique d'un refus ostensible de l'égalité entre les hommes et les femmes » ; « il ne s'agit pas seulement de la dignité de la personne ainsi recluse, mais également de celle des personnes qui partagent avec elle l'espace public et se voient traitées comme des personnes dont on doit se protéger par le refus de tout échange, même seulement visuel. »

Après, ne nions pas que cette loi est sans impact sur notre pratique de la liberté religieuse. En France, exprimer ses convictions, même religieuses, est libre, dans la mesure où leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Dès lors, le vote de la loi de 2010 a pour conséquence il est vrai de limiter la liberté de porter le voile intégral. La liberté religieuse cède devant l’ordre public, car la laïcité garantit l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient les convictions.

De ce fait, les juges européens ont reconnu cette interdiction générale (non exclusive du voile intégral) comme l’une des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou encore à la protection des droits et libertés d’autrui. Elle constitue ainsi une limite acceptable à une liberté individuelle. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2010, 2000 femmes portant un niqab ont fait l’objet d’une contravention. Mais l’arrestation toute récente du braqueur en cavale Redouane Faid, caché sous un niqab, n’a pas manqué de faire sourire les spécialistes : cette exemple prouve qu’il n’est pas systématiquement question d’exercice de la liberté de religion !

La France, le voile intégral, la liberté de religion et la lutte contre le terrorisme

Beaucoup de gens demandent dans quelle mesure le Coran demande aux femmes de se voiler. Les interprétations des uns valent celles des autres. A notre niveau, ce qui importe, c’est de savoir et de bien mesurer que le port d’un voile intégral par les femmes est un marqueur de pratiques religieuses rigoristes, pratiques qui caractérisent les courants salafistes présents en France. Et ces mouvements eux-mêmes ne sont pas unifiés.

Les spécialistes distinguent 3 formes de salafisme. D’abord l’approche « piétiste » (ou salafisme quiétiste), dont les adeptes demandent a priori à vivre pacifiquement en France selon les préceptes de leur religion. Ces personnes sont souvent tancées et instrumentalisées par un deuxième courant connu à travers les « Frères musulmans » qui recherchent le pouvoir par les voies démocratiques. Très revendicatif, notamment contre la laïcité présentée comme principe antimusulman, ce courant politique est à l’origine de nombreuses actions en justice pour discrimination. Leurs victoires contre des mesures considérées comme discriminant les musulmans (burkini, menus à la cantine et autres) nous sont bien connues. Enfin, il existe un salafisme révolutionnaire, qui entend lui prendre le pouvoir et imposer la Charia à n’importe quel prix, je vous laisse faire le lien, il ne s’exprime pas dans les urnes.

Le port du voile, et du voile intégral, justifié au nom de la liberté religieuse donne à voir, parmi d’autres revendications, le poids de ces courants dans les villes françaises. De fait, bien que souvent mal comprise, la laïcité permet de manifester librement sa religion. Les salafistes utilisent cette liberté pour interroger notre modèle social et provoquer des discriminations qui renforcent leurs droits. C’est ainsi qu’a été saisi le Comité des Nations Unies. Des voix s’élèvent alors pour limiter non pas les pratiques rigoristes de ce mouvement, mais directement d’interdire le salafisme pour ce qu’il est. C’est dans ce but que l’on parle de réforme de la laïcité. Or la laïcité est d’abord une liberté…

En effet, il est dans l’état du droit impossible d’intervenir sans constater des infractions ou au minimum des troubles à l’ordre public. La liberté de culte est première. Il n’y a possibilité d’action pour l’Etat que lorsque le trouble à l’ordre public est avéré, ou que des actions relevant d’infractions pénales sont constatées. Ainsi peut-on verbaliser les femmes portant le niqab, ou encore fermer des lieux de cultes recevant des prédicateurs extrémistes, eux-mêmes expulsés s’ils étaient étrangers. Succédant à l’état d’urgence, la loi SILT a ajouté quelques mesures de police administrative qui confortent ces pratiques (cf. aussi fermeture récente mosquée de Grande-Synthe confirmée par le Tribunal Administratif). Mais pas interdire un groupe religieux.

De la pratique complexe de la liberté

En France, la liberté se définit comme une responsabilité sociale : elle consiste en un pouvoir d’agir limité par, en quelque sorte, la conscience de l’autre. Face à la liberté individuelle, la République proclame que la liberté est de faire ce qui ne nuit pas à autrui. La loi ne peut ainsi interdire que ce qui nuit. Et on est libre ainsi, si l’on applique la loi, cadre de vie donné au peuple par le peuple.

La loi de 2010 interdisant la burqa est ainsi fidèle à cette vision de la liberté. On ne peut pas faire ce qu’on veut dans notre République, au mépris de toute convenance sociale et du respect des autres. Limiter une liberté individuelle est possible, au nom de notre « ordre public », cette notion juridique qui caractérise une vie sociale paisible et sereine.

Dans les pays anglo-saxons, c’est la liberté individuelle qui prime. Avec des conséquences pratiques très différentes : campagnes publicitaires où le voile est porté dès le plus jeune âge, dans les pratiques sportives, au travail…

Dans les pays autoritaires, que l’on retrouve parmi les défenseurs de la liberté religieuse, être libre signifie pourtant aussi appliquer la loi… à la seule différence qu’elle n’est pas le produit d’un geste démocratique, mais qu’elle s’impose à tous car venue de Dieu, ou proclamée par des hommes qui se prétendent inspirés par Dieu.

C’est de ce point de vue-là le message même des fondamentalistes religieux. Pour eux, la République elle-même est en quelque sorte le grand Satan : elle conduit à attribuer au peuple un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu, faisant de toute personne acceptant la situation un horrible associateur, coupable selon le Coran du plus grave des crimes. Ainsi se justifie de fuir la France pour vivre dans un pays musulman, ou de prendre les armes.

Alors c’est vrai, la laïcité, en ce qu’elle permet d’abord d’exprimer librement ses convictions religieuses, apparaît comme un principe faible face à la menace que représente finalement cet absolutisme de la liberté. Et ceux qui la défendent, comme moi, sont souvent qualifiés de doux dingues. Mais ceux-là se trompent. Ce n’est finalement pas la laïcité qui est le principe le plus menacé dans l’histoire. Ce qui est menacé, c’est la liberté, la démocratie, l’intérêt général… et à travers eux notre conception même de la vie sociale, au-delà de l’expression des convictions religieuses. Mais pour ça, encore faut-il que la République s’honore de compter, parmi ses citoyens, des femmes et des hommes qui pensent que leur vie a plus de valeur que le temps qu’ils ou elles passent sur cette terre. Ces personnes ont en commun d’être croyants, et ils ont, aujourd’hui comme hier, un rôle important à jouer pour sauvegarder l’essentiel.

mardi 10 juillet 2018

Laïcité : se former, c'est mieux pour en parler !

Le 24 septembre débute la seconde session du MOOC "Les clés de la laïcité" que j'ai le plaisir d'animer parmi une belle équipe de spécialistes pour le CNFPT. Vous pouvez vous inscrire dès à présent pour suivre le cours et participer aux échanges (par ici). Si vous pensez que c'est inutile, testez-vous avec le questionnaire ci-dessous, et on en reparle !

mercredi 30 mai 2018

La laïcité fait-elle de l'Etat l'ennemi des religions ?

J’ai eu le plaisir, il y a quelques jours de faire un tour en Moselle, pays de Concordat, et à l’invitation d’une association de jeunesse catholique (lire ici). Vous savez mes repères, aussi me suis-je éloigné de la neutralité liée habituellement à mon cadre d’intervention, pour interroger mes propres discours à travers des arrière-pensées que j’ai prêté aux fidèles. Voici le conducteur de cette intervention, dont je me suis maintes fois éloigné…

La laïcité fait-elle de l’Etat l’ennemi des religions ?

Quelle drôle de question ! Ou plutôt ; comment ai-je pu me laisser convaincre de venir à Metz répondre à cette question, dans une plage horaire assez large pour être apostrophé, interpellé, voire contredit, sinon détesté. Et je me suis rappelé que, bien que juriste et aimant apporter des réponses aux questions que l’on me pose, le contexte de notre rencontre pouvait me permettre de répondre à la question-titre par une autre question. Sinon plusieurs.

samedi 24 mars 2018

Tatouages, barbes et laïcité

Avec le "boom du tattoo" observé chez les jeunes (près de 25% des - de 35 ans s'avouent tatoués), la question du port d'un signe religieux sur la peau m'est souvent posée en formation. Qu'en serait-il alors pour le fonctionnaire, dont le tatouage religieux visible paraît peu compatible avec le principe de neutralité. Nous avons un embryon de réponse avec une récente instruction de la Direction général de la Police Nationale, même si elle ne vaut que pour les fonctionnaires concernés.

Quant au port de la barbe, et même s'il s'agit d'un cas d'espèce très particulier, une décision de la CAA de Versailles apporte des éléments de réflexion qui pourront être utiles.

Instruction de la Direction générale de la Police Nationale du 12 janvier 2018 relative au port des tatouages, barbes et moustaches, bijoux ou accessoires de mode par les personnels affectés dans les services de la police nationale (NOR: INTC1801913J).
On y apprend que "les tatouages, qu’ils soient permanents ou provisoires, ne sauraient être admis dès lors qu’ils constituent un signe manifeste d’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative ou s’ils portent atteinte aux valeurs fondamentales de la Nation. Il en est de même s’agissant de tout élément, signe ou insigne ostentatoire de même nature qui serait porté par la personne. Les tatouages visibles du public, qui n’entrent pas dans la catégorie précédente, ne doivent pas dénaturer ou compromettre la relation du policier avec les usagers. Le cas échéant, ce tatouage sera masqué quelle que soit sa tenue, lorsque le policier est en contact avec le public ou lorsqu’il est en tenue d’uniforme. Par ailleurs, la coupe de cheveux, les moustaches ou la barbe doivent demeurer courtes, soignées et entretenues, sans fantaisie (…)." 

Cour administrative d’appel de Versailles 19 décembre 2017
Validation de la résiliation de la convention avec un stagiaire égyptien portant une barbe particulièrement imposante, accueilli par un centre hospitalier, ayant fait l’objet d’une mesure disciplinaire prise par le directeur de l’établissement public devant son refus de la tailler.

« Considérant que le port d’une barbe, même longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d’appartenance religieuse en dehors d’éléments justifiant qu’il représente effectivement, dans les circonstances propres à l’espèce, la manifestation d’une revendication ou d’une appartenance religieuse ; qu’en l’espèce, la direction du centre hospitalier, après avoir indiqué à M. A...que sa barbe, très imposante, était perçue par les membres du personnel comme un signe d’appartenance religieuse et que l’environnement multiculturel de l’établissement rendait l’application des principes de neutralité et de laïcité du service public d’autant plus importante, lui a demandé de tailler sa barbe afin qu’elle ne soit plus de nature à manifester, de façon ostentatoire, une appartenance religieuse ; que les demandes formulées par le centre hospitalier auprès de M. A...étaient justifiées par la nécessité d’assurer, par l’ensemble du personnel, le respect de leurs obligations en matière de neutralité religieuse ; qu’en réponse à ces demandes, M. A...s’est borné à invoquer le respect de sa vie privée sans pour autant nier que son apparence physique était de nature à manifester ostensiblement un engagement religieux ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public, alors même que le port de sa barbe ne s’est accompagné d’aucun acte de prosélytisme ni d’observations des usagers du service ; qu’un tel manquement était de nature à justifier une mesure disciplinaire ; que, par suite, la sanction de résiliation de la convention qui lui a été infligée n’était pas disproportionnée mais légalement justifiée par les faits ainsi relevés à son encontre »


vendredi 23 mars 2018

Laïcité : un peu d'actu

A l'occasion de la reprise d'une intervention datant de l'automne pour sa publication, voici quelques nouvelles rapides (dont certaines ne sont pas neuves) sur les pratiques de laïcité et la jurisprudence.

Le droit et le fait religieux dans l’entreprise

L’année 2017 a été marquée par des décisions de justice et une réforme du code du travail qui ont un impact sur l’entreprise. Vous le savez, on ne parle alors pas de « laïcité » mais de « gestion du fait religieux ».

La gestion du fait religieux dans l’entreprise révèle plusieurs enjeux :
- Le respect des croyances des salariés (qui n’admet pas d’exception).
- Le principe de non discrimination en raison de l’appartenance réelle ou supposée à un groupe religieux (qui n’admet pas d’exception et constitue l’un des critères du délit défini par l’article 225-1 du code pénal).
- La liberté de manifester ses opinions religieuses dans l’espace public.

Cette dernière liberté de manifester sa religion rencontre 2 limites traditionnelles :
- Le contrat de travail et notamment :
o La prestation de travail,
o Les obligations liées à sa situation de travail,
o L’obligation générale de sécurité et de prudence, à travers les EPI, les équipements de protection individuels

- Le bon fonctionnement de l’entreprise, qui peut faire référence à :
o Le devoir de protection générale des salariés, au travers du document unique d’évaluation et de prévention des risques (et notamment des risques psycho-sociaux qui pourrait inclure le prosélytisme abusif),
o Les usages de l’entreprise,
o Le règlement intérieur.

A propos du règlement intérieur : la loi El Khomri modifie le code du travail (article L 13121-1) et autorise désormais une entreprise à faire figurer dans son règlement intérieur une forme de « neutralité ». Il semblerait dès lors possible de sanctionner le salarié qui contrevient à cette disposition en faisant état d’une appartenance religieuse. Le contentieux à venir nous permettra d’être plus affirmatif.

Dans l’intervalle, nous savons deux choses :
  • Pour un employeur, il apparaît complexe de modifier un règlement intérieur. Les limites pourraient venir d’entreprises naissantes. A suivre.
  • La décision rendue par la Cour de Cassation en novembre 2017 semble d’ores et déjà tenir compte de la nouvelle rédaction du code du travail, et invalide pourtant le motif de licenciement d’une salariée car discrimination indirecte.
Rappel du contexte
Suite à une plainte de son client, une entreprise licencie une salariée voilée. C’est le recours contre le licenciement qui a fait l’objet de la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE 14 mars 2017, Affaire C-188/15, Bougnaoui et ADDH).
Décision : le licenciement est abusif mais…
« si le règlement intérieur de l’entreprise avait prévu, comme la loi le permet, une limitation de la liberté de manifester ses convictions dans un cadre précis qui ne peut se résumer à la présence de la clientèle, cette décision aurait pu être fondée ».
Discussion : A mes yeux, ça ne change pas grand-chose. La règle reste la même : aucune discrimination sur la base de la conviction religieuse n’est justifiée ni justifiable. La « clause de neutralité » dans le règlement intérieur ne pourra jouer qu’après un dialogue avec le ou la salarié.e qui oppose un motif religieux à sa situation de travail. La décision de sanction ne pourra être que la dernière extrémité, et encore l’employeur devra rapporter la preuve qu’il prendrait la même décision avec n’importe quel autre salarié et n’importe quelle autre conviction (pour échapper au délit de discrimination indirecte).
Sur l’entreprise de tendance « laïque »
Je ne pense toujours pas possible de revendiquer une tendance « laïque » pour une entreprise, aux côtés des entreprises « cultuelles ». La neutralité dans le règlement intérieur fait référence à un mode d’organisation du travail, pas à une conviction. La liberté reste première.

Autres points d’actualité
  • Les crèches de Noël dans les bâtiments publics.
Pour mémoire, concernant la présence de figurines représentant la crèche de Noël à l’extérieur, le cas avait été réglé dès 2010 (voir la jurisprudence du tribunal administratif d’Amiens du 30 novembre 2010 : annulation de la délibération du Conseil Municipal prévoyant l’installation d’une crèche sur la place du village de Montiers, la présence de Jésus, Marie et Joseph méconnaît les dispositions de l’article 28 de la loi de 1905 – élévation d’un emblème religieux). Les questions actuelles portent sur des crèches élevées à l’intérieur de bâtiments publics.

Principe : Les bâtiments affectés au service public sont neutres (Conseil d’Etat Commune de Sainte-Anne 27 juillet 2005, à propos d’un drapeau séparatiste sur le fronton d’une mairie)
Discussion : Une crèche de Noël ne serait pas systématiquement un objet religieux. Il serait possible d’installer une crèche dans un bâtiment public, selon des critères établis par le Conseil d’Etat dans les décisions, nos 395122 et 395223, « Commune de Melun c/ Fédération départementale des libres penseurs de Seine et Marne » et « Fédération de la libre pensée de Vendée », du Conseil d’Etat statuant au contentieux en date du 9 novembre 2016
Critères du juge : L’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. Le Conseil d’Etat invite à tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation.

Illustrations toutes récentes
TA de Nîmes, 16 mars 2018
Refus d’annuler la décision d’installer une crèche dans un bâtiment communal à Sorgues
« La crèche en litige est temporairement installée pour la période des fêtes de Noël dans une salle polyvalente du centre administratif de la commune de Sorgues, distinct de l’ancien hôtel de ville. Ce bâtiment, qui abrite le bureau du maire, la salle où se réunit le conseil municipal ainsi que les services publics municipaux de la commune, doit de ce fait être regardé comme étant le siège de cette collectivité. L’exposition de la crèche géante animée en litige fait depuis 14 ans partie des nombreuses animations que la ville de Sorgues propose à ses habitants dans le cadre d’une opération dénommée « Noël à Sorgues », qui comprennent notamment une grande parade et un grand spectacle son et lumière sans connotation religieuse. Cette crèche est réalisée par un artiste dont l’oeuvre est visitée par plusieurs milliers de personnes chaque année et a fait l’objet de reportages télévisés. Ces circonstances particulières permettent de reconnaître à l’installation litigieuse un caractère culturel, artistique et festif résultant d’un usage culturel local et dépourvu d’un quelconque prosélytisme religieux. »

TA de Nîmes, 16 mars 2018 (même jour)
Annulation décision d’installer une crèche à Beaucaire en décembre 2016
« La crèche en litige a été installée début du mois de décembre 2016 sous l’escalier d’honneur, menant aux services publics et à la salle du Conseil municipal, dans le hall d’accueil de la mairie. Elle se situe donc dans l’enceinte d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique.
L’installation de cette crèche, qui représente Marie et Joseph à côté de la couche de l’enfant Jésus, accompagnés de santons personnifiant à la fois des personnages bibliques, comme les rois mages, et des personnages provençaux traditionnels, résulte d’un usage local, dès lors qu’aucune crèche de Noël n’a jamais été installée dans les locaux en cause avant le mois de décembre 2014. Elle ne peut non plus être regardée comme résultant d’un usage culturel ou d’une tradition festive à Beaucaire, laquelle ne saurait résulter à cet égard de la seule proximité géographique immédiate de cette commune et de la région provençale. La présence de sapins dans la cour de l’hôtel de ville, accompagnée de décorations et d’illuminations en façade, ne peut être regardée comme constituant des circonstances particulières permettant d’inscrire l’installation de la crèche querellée dans un environnement culturel ou festif, en dépit de sa mention dans la page facebook ou le site internet de la mairie. Cette crèche ne peut davantage être directement rattachée à l’exposition «Les Santonales» organisée par l’association «Renaissance du vieux Beaucaire» depuis l’année 2005, dès lors notamment que cette dernière prend place dans un autre bâtiment municipal, situé à environ 250 mètres de l’hôtel de ville où est installée la crèche litigieuse. A la différence de la crèche installée dans le cadre de cette exposition, la crèche en litige ne présente par elle-même aucun caractère artistique particulier et ne peut être considérée comme ayant, en tant que telle, le caractère d’une exposition au sens des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905.
Il s’ensuit, alors même que la commune de Beaucaire affirme ne poursuivre aucun but prosélyte, que le fait pour le maire de cette commune d’avoir fait procéder à cette installation dans l’enceinte d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, a méconnu l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques. »
  • Les croix et statues
La croix du portail du cimetière de Prinçay dans la Vienne. Rapidement, à l’occasion d’un enterrement, un citoyen conteste la présence d’une croix en haut du portail neuf du cimetière.
Le Tribunal administratif de Poitiers, via la question préjudicielle, demande son avis au Conseil d’Etat qui rappelle : « la loi de 1905 qui prévoyait que l’interdiction ne s’applique que pour l’avenir. Le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existant à la date de l’entrée en vigueur de la loi de 1905, ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement. » Or ce portail existait avec sa croix avant 1905, et s’il paraît neuf c’est qu’il a été « rénové » et remis dans son état initial. Une affaire pendante dans une autre ville du même département devrait se conclure autrement, puisqu’il s’agit valablement de l’installation d’un portail neuf.
Rappel : l’exception de l’édification de symboles religieux ne porte que sur les monuments funéraires (ne concerne donc pas le portail du cimetière).

Le monument de la statue de Jean-Paul II et sa croix, offerte par un artiste au maire de Ploërmel, en Bretagne, et installée sur la place « Jean-Paul II » dans des conditions un peu troubles.
Décision du Conseil d’Etat : la statue installée aux frais de la municipalité ne pose pas de problème en tant que telle (la représentation du pape Jean-Paul II n’est pas un emblème religieux), mais la croix qui la surplombe, bien que d’un seul tenant, l’est à l’évidence : elle doit être démolie (seulement la croix !). L’argument de l’intégrité de l’œuvre de l’artiste ne tenait pas.
Pour être complet, la situation a évolué tout récemment avec le rachat du monument dans son intégralité par le diocèse de Vannes.
Référence : CE, 25 oct. 2017, 396990, Féd. morbihannaise de la libre pensée
  • La cantine scolaire et les menus de substitution
Chef de file d’un nombre finalement important de communes ayant cessé de proposer un libre choix dans les menus des cantines présentés comme « menus de substitution pour motif religieux », la ville de Chalon sur Saône a vu finalement sa décision remise en question à deux reprises, sur deux fondements différents : la suppression du libre choix s’appuie sur une conception erronée des principes d’égalité et de laïcité, et méconnaît l’intérêt supérieur de l’enfant. La décision TA Dijon, 28 août 2017, Ligue de défense judiciaire des musulmans c/ Commune de Chalons-sur-Saône, constitue par ailleurs un argumentaire intéressant à connaître face aux questions de nos stagiaires qui portent souvent sur ce thème :

Considérant, d’une part, qu’à partir de 1984 sans discontinuité, les cantines scolaires de Chalon-sur-Saône ont proposé un repas de substitution lorsque du porc était servi ; qu’un tel choix permettait la prise en compte, dans le respect de la liberté de conscience des enfants et des parents, de préoccupations d’ordre religieux ou culturel ; que les décisions attaquées ont retiré ce choix aux usagers du service, mettant ainsi fin à une pratique ancienne et durable qui n’avait jusqu’alors jamais fait débat, alors que les familles ne sont pas nécessairement en mesure de recourir à un autre mode de restauration ;
10. Considérant, d’autre part, que si une contrainte technique ou financière peut légalement motiver, dans le cadre du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, une adaptation des modalités du service public de la restauration scolaire, il ressort du rapport préalable devant le conseil municipal, du compte rendu de la séance du conseil municipal, de la motivation des décisions attaquées et de la défense que ces décisions ont procédé non pas d’une telle contrainte mais d’une position de principe se référant à une conception du principe de laïcité ;
11. Considérant, enfin, que si la ville de Chalon-sur-Saône fait aussi valoir que lorsque par le passé un repas de substitution était servi, les enfants étaient fichés et regroupés par tables selon leurs choix ce qui permettait d’identifier leur religion en violation de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et de l’article 226-16 du code pénal, l’impossibilité d’une méthode alternative, notamment par recours à des questionnaires anonymisés pour l’évaluation des besoins du service ou par mise en place d’un self-service, n’a pas, à la supposer même invoquée, été démontrée ;
12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances particulières de l’espèce, les décisions attaquées, même si l’information des familles a été prévue avant puis pendant la mise en œuvre de la délibération attaquée, ne peuvent pas être regardées comme ayant accordé, au sens de l’article 3-1 de la CIDE, une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants concernés ;

Dans une tout autre affaire, sans lien avec un menu confessionnel (problème de place), le TA de Besançon vient d’affirmer, à propos du service public de la restauration scolaire, que « une fois que la collectivité l’organise, les personnes publiques sont tenues de garantir à chaque élève le droit d’y être inscrit. Elles doivent adapter et proportionner le service à cette fin et ne peuvent, au motif du manque de place, refuser d’y inscrire un élève qui en aurait fait la demande. » Cette décision vient à mes yeux atténuer les effets du caractère « facultatif » de ce service public local et pourrait avoir des conséquences sur le sujet qui nous préoccupe (Référence : TA de Besançon 7 décembre 2017 requête N° 1701724). A suivre...
  • Barbes et tatouages
Instruction de la Direction générale de la Police Nationale du 12 janvier 2018 relative au port des tatouages, barbes et moustaches, bijoux ou accessoires de mode par les personnels affectés dans les services de la police nationale (NOR: INTC1801913J).
On y apprend que "les tatouages, qu’ils soient permanents ou provisoires, ne sauraient être admis dès lors qu’ils constituent un signe manifeste d’appartenance à une organisation politique, syndicale, confessionnelle ou associative ou s’ils portent atteinte aux valeurs fondamentales de la Nation. Il en est de même s’agissant de tout élément, signe ou insigne ostentatoire de même nature qui serait porté par la personne. Les tatouages visibles du public, qui n’entrent pas dans la catégorie précédente, ne doivent pas dénaturer ou compromettre la relation du policier avec les usagers. Le cas échéant, ce tatouage sera masqué quelle que soit sa tenue, lorsque le policier est en contact avec le public ou lorsqu’il est en tenue d’uniforme. Par ailleurs, la coupe de cheveux, les moustaches ou la barbe doivent demeurer courtes, soignées et entretenues, sans fantaisie (…)."

Cour administrative d’appel de Versailles 19 décembre 2017
Validation de la résiliation de la convention avec un stagiaire égyptien portant une barbe particulièrement imposante, accueilli par un centre hospitalier, ayant fait l’objet d’une mesure disciplinaire prise par le directeur de l’établissement public devant son refus de la tailler.
« Considérant que le port d’une barbe, même longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d’appartenance religieuse en dehors d’éléments justifiant qu’il représente effectivement, dans les circonstances propres à l’espèce, la manifestation d’une revendication ou d’une appartenance religieuse ; qu’en l’espèce, la direction du centre hospitalier, après avoir indiqué à M. A...que sa barbe, très imposante, était perçue par les membres du personnel comme un signe d’appartenance religieuse et que l’environnement multiculturel de l’établissement rendait l’application des principes de neutralité et de laïcité du service public d’autant plus importante, lui a demandé de tailler sa barbe afin qu’elle ne soit plus de nature à manifester, de façon ostentatoire, une appartenance religieuse ; que les demandes formulées par le centre hospitalier auprès de M. A...étaient justifiées par la nécessité d’assurer, par l’ensemble du personnel, le respect de leurs obligations en matière de neutralité religieuse ; qu’en réponse à ces demandes, M. A...s’est borné à invoquer le respect de sa vie privée sans pour autant nier que son apparence physique était de nature à manifester ostensiblement un engagement religieux ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public, alors même que le port de sa barbe ne s’est accompagné d’aucun acte de prosélytisme ni d’observations des usagers du service ; qu’un tel manquement était de nature à justifier une mesure disciplinaire ; que, par suite, la sanction de résiliation de la convention qui lui a été infligée n’était pas disproportionnée mais légalement justifiée par les faits ainsi relevés à son encontre »
  • Emballement médiatique autour de l’exercice du culte dans l’espace public
Polémique autour des « prières de rue » à Clichy, occasion de rappeler la distinction entre l’exercice du culte qui peut être autorisé sur la voie publique, et une emprise irrégulière du domaine public causant un trouble à l’ordre public.
  • A propos de la liberté religieuse des députés
Nous avons peu d’informations sur la valeur juridique de ce texte, mais voici un extrait de « l’instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale » concernant la tenue des parlementaires en séance, rédigé après l’affaire du maillot de football de François Ruffin :

La tenue vestimentaire adoptée par les députés dans l’hémicycle doit rester neutre et s’apparenter à une tenue de ville. Elle ne saurait être prétexte à la manifestation de l’expression d’une quelconque opinion ; est ainsi notamment prohibé le port de tout signe religieux ostensible, d’un uniforme, de logos ou messages commerciaux ou de slogans de nature politique (…). Art. 9

Si les règlements des assemblées parlementaires doivent impérativement être soumis au contrôle du Conseil constitutionnel, il semble que ce ne soit pas le cas de ce sous-ensemble. Cela n’enlève en rien son caractère choquant puisque voici, à tout le moins, un bel exemple d’atteinte à la liberté d’expression… Il reste à attendre l’événement qui le remettre sur le devant de la scène. A ce titre, il subira peut-être le même sort que l’interdiction du port de pantalon par les élues, usage que Michèle Alliot-Marie avait rendu célèbre en 1972 en proposant, à l’huissier qui lui interdisait l’accès à la séance, de l’enlever sur le champ. A suivre.

vendredi 24 novembre 2017

Cachez voiles et signes religieux, les clients achètent notre neutralité

Dans un arrêt n° 2484 du 22 novembre 2017 (13-19.855) rendu le 22 novembre la Chambre sociale de la Cour de Cassation dévoile une forme de mode d'emploi de l'article L1321-2-1 du Code du Travail (tiré de la loi El Khomri) permettant à une entreprise privée d'inscrire une forme de principe de neutralité dans son règlement intérieur.

jeudi 10 novembre 2016

Pour un Noël festif, culturel et spirituel : vive la liberté de conscience !

Par deux décisions datées du 9 novembre 2016, le Conseil d’Etat éteint le contentieux des crèches de Noël en laissant entrevoir, par les fenêtres du Palais Royal, les joyeuses lueurs des illuminations qu’une lointaine tradition accroche aux murs de nos villes et villages. Et dans nos cœurs.

Les réactions sont nombreuses, face à un arbitrage juridique qui laisse à certains un goût d’inachevé, et pose plus la question de la place des religions dans notre société que réellement celle de la laïcité dans son principe le plus clair : la neutralité des personnes publiques.

En disant ce qui apparaît (lors d’une lecture rapide) comme « tout et son contraire », le Conseil d’Etat nous renvoie en effet à notre propre responsabilité. La réponse n’est donc pas à chercher dans la loi de 1905, mais dans l’article 10 de la Déclaration de 1789 et 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme, dans notre propre capacité à gérer la liberté de conscience.

jeudi 18 août 2016

Burkini : la République mise à nu

Haut les mains, peau de lapin, la République en maillot de bain.

Telle pourrait être la comptine de la rentrée politique, après un été où le slogan des publivores fondamentalistes des années 80 n'aura jamais été autant d'actualité. Remember https://www.youtube.com/watch?v=u6hiorFhDcY Quand on pense que la société qui promettait de mettre Myriam à nu s'appelait "Avenir". Bref, soyons raisonnables...

C’est avec le plus grand dépit que s’enfilent un à un sur le fil de l’actualité les arrêtés municipaux interdisant le costume de bain couvrant qu’une styliste australienne baptisa "burkini".

jeudi 25 juin 2015

Laïcité dans l'espace public : confusions et manipulations

Hier soir, toutes les gazettes relayaient l'effroi du Curé du Lavandou (Var) face à la décision du Maire de la commune de priver les paroissiens et estivants de la messe en plein air. Entretenant la confusion autour de l'expression religieuse dans l'espace public, journaleux et haters de tous bords ont lâché les chiens. Dans le prolongement des billets sur la question de la laïcité, je vous propose un point sur la question...

La neutralité de l'Etat et les traditions locales

L'État (ses agents, comme ses bâtiments) ne doit afficher aucune préférence ou appartenance à l'égard d'une religion ou d'une conviction vis-à-vis des citoyens français. L'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 stipule que : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.» 

lundi 16 juin 2014

Baby-Loup : vers une neutralité pour les salariés du secteur privé ?

Contre toute attente, selon les préconisations du Procureur de la République rendues publiques le 7 juin (ici), la Cour de Cassation va sans doute rejeter le pourvoi de la salariée de la crèche privée Baby-Loup, licenciée pour faute lourde parce qu'elle portait un voile islamique au travail. Les événements datent de 2008.

Si la neutralité figurait au règlement intérieur de l'établissement, la Cour de Cassation avait il y a un peu plus d'un an donné une suite favorable à la contestation de la salariée, rappelant que dans une entreprise privée, cette exigence était démesurée et constituait finalement une discrimination en raison des convictions religieuses (lire ici mon billet sur ce blog).

Patientons jusqu'à la décision, déjà promise d'être confiée aux bons soins de la Cour de Strasbourg...

jeudi 28 novembre 2013

La laïcité est-elle une religion ?

En France, la laïcité est la liberté de croire ou de ne pas croire. Ce souci principal du respect des convictions de chacun a conduit au développement d’une pensée autonome et étonnante selon laquelle « ne pas croire » se revendique comme une religion. C’est du moins ce qu’il faut retenir de la décision surprise de la Cour d’appel saisie du renvoi de l’affaire dite Baby-Loup.

En effet, si l’on s’en tient aux gazettes et au propos de l’avocat de la société, la Cour reconnaît Baby-Loup comme une « entreprise de tendance », en ce qu’elle entend imposer à ses salariés la neutralité religieuse. Pour mémoire, une telle entreprise est une structure à laquelle attachée une doctrine impliquant un parfait respect, si ce n'est en conscience, du moins en comportement du salarié, notion qui ne s’était jusqu’ici appliquée qu’en matière religieuse. C’est donc établi, « ne pas croire » est une religion !

mardi 25 juin 2013

Le voile, c’est pas sport

Vous le savez, je suis un ardent défenseur de la liberté de conscience. Mais pas que : de la neutralité du service public, et de la condition féminine aussi. Ne vous méprenez pas. Je ne défends ni l’éternel féminin d’inspiration vichyste ni les études de genre, mais une égalité juste et urgente entre les hommes et les femmes. Mais ces combats se télescopent parfois...

mardi 9 avril 2013

Valeurs du service public : "Au loup ! Au (Baby-)loup !"


C’est peu de le dire, la décision de la Chambre sociale de la Cour de Cassation dite « Baby-Loup » a jeté le trouble dans une réflexion déjà complexe sur la place des valeurs républicaines dans notre quotidien. Interrogée sans cesse par de nouvelles expressions de la religiosité, notre société, dans laquelle les croyances "historiques" se sont sécularisées, répond avec une vision de la laïcité qui correspond à un moment de son histoire. A cela s’ajoutent les doutes sur les motivations réelles de cette nouvelle visibilité d’un sentiment intérieur, la foi, que semble rendre nécessaire la quête d’une certaine reconnaissance autant individuelle que communautaire.

En parallèle des enjeux sociétaux, la pratique administrative française est régulièrement bouleversée par les réglementations européennes sur les services d’intérêt général, qui poussent à la marchandisation des nombreux services publics. Comme un fan de rugby pourrait réponde à un supporter de football, la France situe sa position sur le plan des « valeurs du service public », érigeant en code moral les principes jadis dégagés par le Professeur Rolland : égalité, adaptabilité et continuité  Longtemps simple corollaire de l’égalité, la neutralité s’impose peu à peu comme un élément indépendant de cette quasi-devise, mais surtout comme une réponse à la fois facile et compliquée aux problèmes que soulève l’expression religieuse.

Solidement, le Conseil d’Etat a rappelé que la neutralité s’imposait à l’administration, comme un droit à l’indifférence au bénéfice des convictions de ses usagers. Ce faisant, le juge administratif confirme que la laïcité est un droit de croire ou de ne pas croire, ouvert au bénéfice de tous et avait pour conséquence le respect le plus absolu de la République envers les religions. Aucune exception, sauf si la religiosité de l’usager occasionne un trouble à l’ordre public ou au fonctionnement normal des services publics.

Mais le même Conseil d’Etat, concernant le cadre particulier des activités éducatives, a pris une toute autre décision. Ainsi, dans le cadre strict des établissements publics de l’Education nationale accueillant des mineurs, toute expression religieuse ostensible est bannie tant du côté des agents (classique) que du côté des usagers. On peut juger excessif que la République protège les enfants non-croyants de ceux qui croient, ou le saluer… mais on doit l’appliquer. Nombreux sont aussi les services éducatifs qui ont choisi d’appliquer volontairement le même principe à leurs activités extra scolaires ou complémentaires.

La Cour de Cassation a pu rappeler à son tour cette nécessaire neutralité pour les personnes travaillant sous contrat de droit privé dans un service public. Mais parce qu’elle concerne le personnel d’une crèche exploitée par une personne privée, elle a considéré que la décision de licencier une femme portant le voile islamique ne peut être justifiée par le principe de neutralité.

La crèche est pourtant sans conteste une activité d’intérêt général. Mais elle n’est pas, au sens de la jurisprudence constante du juge administratif, un « service public » qui se caractérise entre autres par la volonté non équivoque de la collectivité de prendre en charge une activité, un lien entre la collectivité publique et l’exploitant du service. Le fait de pallier l’insuffisance d’accueils publics de la petite enfance, le fait d’accueillir la petite enfance ne sont pas suffisants à permettre d’imposer des « sujétions de service public » à l’association ou l’entreprise, sujétions parmi lesquelles peuvent figurer le respect des « valeurs du service public ».

Au-delà de la petite enfance, la question se pose pour l’ensemble des structures d’accueil de l’enfance et de la jeunesse qui fonctionnent dans un cadre para-public. S’il existe des structures comme Baby-Loup qui revendiquent une certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, la grande majorité des accueils de mineurs dépend de manière contractuelle d’une collectivité territoriale. Et il y a débat. Souvent conclues sous la forme de délégations de service public, ces conventions sont contestées sur la base de leurs éléments financiers qui les font risquer la qualification de marchés publics. Une évolution qui semble inéluctable, aussi au regard du droit européen des aides publiques.

Finalement, le débat évolue alors sur les conditions que les pouvoirs publics pourraient mettre en place pour que les personnes privées candidates à la prise en charge d’une activité éducative. Le code des marchés publics encourage les collectivités à truffer leurs appels d’offres de clauses concernant le développement durable, la place donnée à des travailleurs en situation de handicap… Se pourrait-il qu’il y ait une place pour une clause « valeurs », laquelle impliquerait de la part du prestataire de l’administration l’application volontaire du principe de neutralité ? 

Dans tous les cas, une telle clause serait-elle opposable au droit du travail qui, comme le rappelle la Cour de Cassation, ne fait obstacle à la manifestation d’une appartenance religieuse au bureau ? A moins que le Gouvernement puisse convaincre au-delà de sa majorité, en appui sur une islamophobie galopante, de mettre en pièce la liberté religieuse…

Je n’ai pas encore de réponse documentée à cette question. Mais j’ai promis de la trouver. Ces quelques lignes qui la rende publique sont donc là pour prouver à mon contact que je ne l’ai pas oubliée… Qu’elle me pardonne. Encore...

mercredi 20 mars 2013

Baby-Loup, intérêt général et laïcité

La Chambre sociale de la Cour de Cassation a surpris bien du monde hier, en rendant une décision favorable à la salariée de la crèche "Baby- Loup", qui contestait depuis 2008 son licenciement pour des motifs, selon elle, discriminatoires. Pour mémoire, elle avait perdu son emploi car elle se présentait revêtue d'un voile islamique sur son lieu de travail. Ainsi les magistrats de la Tour de l'Horloge se sont-ils rangés à son analyse, contrariant les juges du fond qui avaient donc appliqué à tord le principe de neutralité des services publics à cette entreprise privée.

vendredi 8 octobre 2010

Burqa : la décision des sages est-elle une sage décision ?

Le Conseil constitutionnel (décision n° 2010-613 DC ) s'est prononcé hier 7 octobre 2010 sur la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public : le texte est conforme à la Constitution. Pour mémoire, la loi prévoit que « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », l'espace public étant entendu comme « constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».

vendredi 23 avril 2010

Burqa ou mini-jupe : la liberté au placard ?

Coline Serreau, femme de cinéma qu’on ne présente plus, a tenu hier soir des propos forts sur ITélé, affirmant son adhésion au principe d’une interdiction générale de la burqa qu’elle décrit comme l’étoile jaune de la condition féminine (sic). Victorieuse sans conteste au mètre carré de tissu, le voile intégral est-il en train de chiper à la mini-jupe son statut de symbole ?