mardi 9 avril 2013

Valeurs du service public : "Au loup ! Au (Baby-)loup !"


C’est peu de le dire, la décision de la Chambre sociale de la Cour de Cassation dite « Baby-Loup » a jeté le trouble dans une réflexion déjà complexe sur la place des valeurs républicaines dans notre quotidien. Interrogée sans cesse par de nouvelles expressions de la religiosité, notre société, dans laquelle les croyances "historiques" se sont sécularisées, répond avec une vision de la laïcité qui correspond à un moment de son histoire. A cela s’ajoutent les doutes sur les motivations réelles de cette nouvelle visibilité d’un sentiment intérieur, la foi, que semble rendre nécessaire la quête d’une certaine reconnaissance autant individuelle que communautaire.

En parallèle des enjeux sociétaux, la pratique administrative française est régulièrement bouleversée par les réglementations européennes sur les services d’intérêt général, qui poussent à la marchandisation des nombreux services publics. Comme un fan de rugby pourrait réponde à un supporter de football, la France situe sa position sur le plan des « valeurs du service public », érigeant en code moral les principes jadis dégagés par le Professeur Rolland : égalité, adaptabilité et continuité  Longtemps simple corollaire de l’égalité, la neutralité s’impose peu à peu comme un élément indépendant de cette quasi-devise, mais surtout comme une réponse à la fois facile et compliquée aux problèmes que soulève l’expression religieuse.

Solidement, le Conseil d’Etat a rappelé que la neutralité s’imposait à l’administration, comme un droit à l’indifférence au bénéfice des convictions de ses usagers. Ce faisant, le juge administratif confirme que la laïcité est un droit de croire ou de ne pas croire, ouvert au bénéfice de tous et avait pour conséquence le respect le plus absolu de la République envers les religions. Aucune exception, sauf si la religiosité de l’usager occasionne un trouble à l’ordre public ou au fonctionnement normal des services publics.

Mais le même Conseil d’Etat, concernant le cadre particulier des activités éducatives, a pris une toute autre décision. Ainsi, dans le cadre strict des établissements publics de l’Education nationale accueillant des mineurs, toute expression religieuse ostensible est bannie tant du côté des agents (classique) que du côté des usagers. On peut juger excessif que la République protège les enfants non-croyants de ceux qui croient, ou le saluer… mais on doit l’appliquer. Nombreux sont aussi les services éducatifs qui ont choisi d’appliquer volontairement le même principe à leurs activités extra scolaires ou complémentaires.

La Cour de Cassation a pu rappeler à son tour cette nécessaire neutralité pour les personnes travaillant sous contrat de droit privé dans un service public. Mais parce qu’elle concerne le personnel d’une crèche exploitée par une personne privée, elle a considéré que la décision de licencier une femme portant le voile islamique ne peut être justifiée par le principe de neutralité.

La crèche est pourtant sans conteste une activité d’intérêt général. Mais elle n’est pas, au sens de la jurisprudence constante du juge administratif, un « service public » qui se caractérise entre autres par la volonté non équivoque de la collectivité de prendre en charge une activité, un lien entre la collectivité publique et l’exploitant du service. Le fait de pallier l’insuffisance d’accueils publics de la petite enfance, le fait d’accueillir la petite enfance ne sont pas suffisants à permettre d’imposer des « sujétions de service public » à l’association ou l’entreprise, sujétions parmi lesquelles peuvent figurer le respect des « valeurs du service public ».

Au-delà de la petite enfance, la question se pose pour l’ensemble des structures d’accueil de l’enfance et de la jeunesse qui fonctionnent dans un cadre para-public. S’il existe des structures comme Baby-Loup qui revendiquent une certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, la grande majorité des accueils de mineurs dépend de manière contractuelle d’une collectivité territoriale. Et il y a débat. Souvent conclues sous la forme de délégations de service public, ces conventions sont contestées sur la base de leurs éléments financiers qui les font risquer la qualification de marchés publics. Une évolution qui semble inéluctable, aussi au regard du droit européen des aides publiques.

Finalement, le débat évolue alors sur les conditions que les pouvoirs publics pourraient mettre en place pour que les personnes privées candidates à la prise en charge d’une activité éducative. Le code des marchés publics encourage les collectivités à truffer leurs appels d’offres de clauses concernant le développement durable, la place donnée à des travailleurs en situation de handicap… Se pourrait-il qu’il y ait une place pour une clause « valeurs », laquelle impliquerait de la part du prestataire de l’administration l’application volontaire du principe de neutralité ? 

Dans tous les cas, une telle clause serait-elle opposable au droit du travail qui, comme le rappelle la Cour de Cassation, ne fait obstacle à la manifestation d’une appartenance religieuse au bureau ? A moins que le Gouvernement puisse convaincre au-delà de sa majorité, en appui sur une islamophobie galopante, de mettre en pièce la liberté religieuse…

Je n’ai pas encore de réponse documentée à cette question. Mais j’ai promis de la trouver. Ces quelques lignes qui la rende publique sont donc là pour prouver à mon contact que je ne l’ai pas oubliée… Qu’elle me pardonne. Encore...

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Marc Guidoni