jeudi 29 avril 2010

La fessée ou la violence éducative : est-ce bien raisonnable ?

Quel paradoxe ... Depuis quelques semaines nous n'entendons parler que de violence à l'école, de pédophilie et c'est le moment que choisit l'Europe pour se saisir de la question de la fessée. La fessée, ou quand frapper ses enfants est nommé éducation. Et hier encore, c'est un élève sans histoire qui poignarde son professeur. Quel avenir nous promettent ces faits divers mués en questions de société ? Il y a déjà longtemps que les professionnels de l'enfance s'interrogent sur les enjeux d'une éducation qui intègre la violence comme outil, sinon sur les enjeux d'une violence considérée comme éducative. 
Alors, bien évidemment, il faudra nuancer entre les pratiques familiales correctives et les châtiments corporels, et encore...  Ce qu'il faut surtout faire, en se gardant de juger les personnes, c'est rappeler qu'avant toute chose l'enfant a besoin de ressentir qu'il est aimé. C'est tout le sens de ce texte écrit en 2003 par la philosophe et pédopsy Alice Miller, que je ne résiste pas à vous partager, d'autant qu'elle en laisse le droit.



Il n’y a pas de "bonne" fessée

"Pourquoi les fessées, les gifles et même des coups apparemment anodins comme les tapes sur les mains d’un bébé sont-elles dangereuses ?

Elles lui enseignent la violence, par l’exemple qu’elles en donnent. Elles détruisent la certitude sans faille d’être aimé dont le bébé a besoin. Elles créent une angoisse : celle de l’attente de la prochaine rupture. Elles sont porteuses d’un mensonge : elles prétendent être éducatives alors qu’en réalité elles servent aux parents à se débarrasser de leur colère et que, s’ils frappent, c’est parce qu’ils ont été frappés enfants. Elles incitent à la colère et à un désir de vengeance qui restent refoulés et qui s’exprimeront plus tard. Elles programment l’enfant à accepter des arguments illogiques ( je te fais mal pour ton bien) et les impriment dans son corps. Elles détruisent la sensibilité et la compassion envers les autres et envers soi-même et limitent ainsi les capacités de connaissance.

Quelles leçons le bébé retient-il des fessées et d’autres coups ? Que l’enfant ne mérite pas le respect. Que l’on peut apprendre le bien au moyen d’une punition (ce qui est faux, en réalité, les punitions n’apprennent l’enfant qu’à vouloir lui-même punir). Qu’il ne faut pas sentir la souffrance, qu’il faut l’ignorer, ce qui est dangereux pour le système immunitaire. Que la violence fait partie de l’amour (leçon qui incite à la perversion). Que la négation des émotions est salutaire (mais c’est le corps qui paie le prix pour cette erreur, souvent beaucoup plus tard). Qu’il ne faut pas se défendre avant l’âge adulte. C’est le corps qui garde en mémoire toutes les traces nocives des supposées "bonnes fessées".

Comment se libère-t-on de la colère refoulée ? Dans l’enfance et l’adolescence : On se moque des plus faibles. On frappe ses copains et copines. On humilie les filles. On agresse les enseignants. On vit les émotions interdites devant la télé ou les jeux vidéo en s’identifiant aux héros violents. (Les enfants jamais battus s’intéressent moins aux films cruels et ne produiront pas de films atroces, une fois devenus adultes).

A l’âge adulte : On perpétue soi-même la fessée, apparemment comme un moyen éducatif efficace, sans se rendre compte qu’en vérité on se venge de sa propre souffrance sur la prochaine génération. On refuse (ou on n’est pas capable) de comprendre les relations entre la violence subie jadis et celle répétée activement aujourd’hui.

On entretient ainsi l’ignorance de la société. On s’engage dans les activités qui exigent de la violence. On se laisse influencer facilement par les discours des politiciens qui désignent des boucs émissaires à la violence qu’on a emmagasinée et dont on peut se débarrasser enfin sans être puni : races "impures", ethnies à "nettoyer", minorités sociales méprises.

Parce qu’on a obéi à la violence enfant, on est prêt à obéir à n’importe quel autorité qui rappelle l’autorité des parents, comme les Allemands ont obéi à Hitler, les Russes à Staline, les Serbes à Milosevic. Inversement, on peut prendre conscience du refoulement, essayer de comprendre comment la violence se transmet de parents à l’enfant et cesser de frapper les enfants quel que soit leur âge. On peut le faire (beaucoup y ont réussi) aussitôt qu’on a compris que les seules vraies raisons de donner des coups "éducatifs" se cachent dans l’histoire refoulée des parents."

Source : Alice Miller 22/05/2003, Maison de l’Enfant - 22/05/2003 - © Alice Miller
Chacun est libre de diffuser ce texte, sous condition de ne rien y changer

On pourra lire aussi : « La fessée : questions sur la violence éducative » par Olivier Maurel (2007)

3 commentaires:

  1. Sacré Alice ! Elle ne nous décrit pas "le pays des merveilles"
    La culpabilité des parents qui "craquent" et parfois leur cécité en protection du doigt accusateur "de mauvais parents", sont des elements qui ne donnent pas le droit à l'émotion et les empechent de s'excuser.
    le sujet devient tabou et les non dits sonts des fessées bien dangereuses aussi!
    Maintenant, ceci etant dit comme il est impossible de mesurer "la petite tape" sur la main et sa vilolence psychologique, car il est bien question de cette violence là souvent, je rejoindrais Alice dans le meilleur des mondes possibles.

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  2. bah non, et voilà j'avais rédigé un texte magnifique et voilà les joies du clavier...tant pis j'ai cours, adieu... Deception

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  3. allez, recommencez en rentrant de cours, on n'est pas pressé !

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Marc Guidoni