mardi 2 février 2010

On ne légifère pas au coup par coup

Dans la veine de mes remarques sur l'inflation législative et ses conséquences sur la sécurité juridique,
le débat entre Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie relance la polémique sur ces textes que l'on demande au Parlement de voter pour montrer la réactivité du gouvernement face à l'actualité. Après la joggeuse agressée qui avait une nouvelle fois mis en question la problématique de la récidive, voici un drame qui touche les personnes âgées.

"Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux s'opposent sur la question des peines contre les agressions de personnes âgées.
Au-delà de l'éternel débat sur la hiérarchie des peines, cette polémique entre deux ministres importants du gouvernement constitue une manifestation éclatante de la perte d'influence du sarkozysme, en tant que méthode politique au sein même de la majorité. Les déclarations de Michèle Alliot-Marie sur Europe 1 dimanche dernier traduisent une indépendance retrouvée. Comme si la ministre de la Justice, fatiguée de devoir en rabattre, avait décidé de renouer avec un genre oublié depuis mai 2007, le genre «ministre de caractère», «ministre qui ouvre sa gueule». Et pas sur n'importe que sujet! Sur la sécurité, sujet sensible s'il en est, qui touche au cœur de la méthode sarkozyste, sujet dont le président et ses porte-paroles sont quasiment propriétaires de fait dans la majorité.
 
On ne légifère pas au coup par coup

La ministre de la Justice s'est donc opposée à la volonté de Brice Hortefeux qui avait déclaré vouloir renforcer les sanctions pénales contre les agresseurs de personnes âgées après l'horrible assassinat de Pont Saint-Maxence. Brice Hortefeux, c'est directement Nicolas Sarkozy. Si le ministre de l'Intérieur, qui est l'un des porte-voix assumé du chef de l'Etat, a déclaré qu'il fallait changer la législation c'est que l'ordre venait de l'Elysée. Aucun doute, aucune autonomie, c'est comme ça. Dans la controverse avec Michèle Alliot-Marie, il y a plusieurs éléments de révolte à souligner. D'abord la garde des Sceaux rappelle que légiférer au coup par coup, par empilement et au gré des faits divers n'est pas une bonne méthode. Ce faisant, et en creux, elle critique l'utilisation de la loi comme objet de communication. Depuis 2007, bien des députés de la majorité râlent en silence devant cette tendance à l'inflation législative. On annonce pour annoncer, pour occuper le terrain médiatique et montrer à quel point en prend le problème à bras le corps et non pour légiférer. Il s'en suit un embouteillage au parlement, des lois mal rédigés et difficilement applicables. Les juges et les avocats le soulignent sans cesse et la ministre de la Justice est la mieux placée pour s'en rendre compte. Les membres du Conseil d'Etat et ceux du Conseil constitutionnel, qui ne peuvent en faire état publiquement, ne se privent plus, en privé de dénoncer le caractère bâclé de nombreux textes qu'ils ont à étudier. Michèle Alliot-Marie n'a pas dénoncé tout ça explicitement, mais la logique de son opposition de ce week-end à Brice Hortefeux charrie ces critiques accumulées et récurrentes dans le monde du droit, en dehors de toute attache partisane.
Arrêter de brouiller les pouvoirs

La ministre de la Justice a également critiqué le fait que ce soit le ministre de l'Intérieur qui annonce ces projets. En matière de politique pénale, c'est le ministre de la Justice qui annonce les projets de lois ou le parlement qui fait une proposition de loi. Pas le ministère de l'Intérieur. Sauf que l'on ne fait même plus attention à ces détails-là parce que, dans l'esprit de tous, il est devenu évident que Brice Hortefeux, ce n'est pas tant le ministère de l'Intérieur qu'une courroie élyséenne! C'est l'autre aspect à peine voilé de la révolte de Michèle Alliot-Marie. En réaffirmant que Brice Hortefeux n'a pas à s'occuper de cette question, elle demande, en fait, à Nicolas Sarkozy d'arrêter de brouiller les pouvoirs, de les concentrer. Et ce n'est pas tout!

Concernant la réforme de l'instruction, Madame Alliot-Marie a dit qu'elle ferait en sorte que le juge qui remplacera le juge d'instruction (que le président veut supprimer) pourra bien instruire des affaires délicates et sensibles pour l'Etat. Elle reconnaît ainsi que la crainte était justifiée. Michèle Alliot-Marie sait aussi que la réforme telle que la voulait le président n'aurait, de toute façon pas passé le cap du Conseil constitutionnel. Les sages font passer largement ce message depuis plusieurs semaines. On s'était presque habitué à ne plus en avoir, mais finalement un ministre de la Justice... Ça peut servir."

article de Thomas Legrand sur slate.fr
Titre original : Enfin un ministre de la justice !

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Cordialement,
Marc Guidoni