lundi 5 avril 2010

On a rompu le "vivre ensemble" pour basculer dans l'individualisme

J'ai partagé ici une inquiétude, il y a quelque jours, à partir des conclusions du rapport annuel du Médiateur de la République. Dans le cadre d'un entretien publié sur le site lalettreduservicepublic.fr, Jean-Paul Delevoye rappelle encore combien il a trouvé fragile la société française durant sa mission.

"Après la publication de votre rapport annuel, vous avez alerté sur la fragilité de notre société. Quel est votre message pour tous ceux qui ont une mission de service public ? Pourquoi cette inquiétude ?A travers les dossiers qui me sont adressés, je perçois une société qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace l'envie de vivre ensemble, où l'on devient de plus en plus consommateur de République plutôt que citoyen. On “consomme” la justice, les services de santé, les services municipaux… Dans cette optique, le politique devient alors un simple gestionnaire des peurs et des humiliations. Je constate une fragilité du tissu social et une absence de dimension humaine. Attention, car dans cette société en souffrance, il y a des mots qui peuvent être encore plus blessants que les situations vécues. On a rompu avec le « vivre ensemble » qui se fondait sur l'existence de règles communes, pour basculer dans l'individualisme. L'individualisme développe parfois le mépris de soi qui débouche sur le mépris des autres. Il nous faut enrayer cette spirale de l'échec et du mépris, maintenir et développer nos capacités d'écoute. Notre société a un déficit de dialogue, un déficit d’écoute. Dans une société où l’individu est de plus en plus fragilisé, les personnes qui représentent une autorité doivent être formées à la dimension humaine, c’est un impératif. Pour le service public, et cela est aussi vrai dans le secteur privé, on forme de bons techniciens mais pas de bons managers. Il faut remettre de l’humanité dans les formations, se former davantage au management public.

Vous appelez aussi à une évolution de notre culture administrative. Que faut-il changer par exemple ?

Nous avons à réfléchir à la culture du signalement. Celui qui signale une erreur passe pour un traître par rapport à ses collègues de service et cela peut pénaliser sa promotion et sa carrière. Il faut restituer le droit à l’erreur car cela est utile pour que l’erreur ne se reproduise plus. Il ne faut pas confondre l’erreur et la faute. Je dis aussi aux responsables politiques qu’il ne faut pas que le vote de la loi donne l’illusion de l’application de la loi. Quand, par exemple, on vote un délai d’une semaine pour fournir le dossier médical, c’est impossible. Il faut confronter l’objectif du législateur à la réalité de la pratique de l’exercice des droits.

Les services du Médiateur de la République sont de plus en plus sollicités. Comment faites-vous face à ce regain d’activité ?En 2009, le nombre d’affaires transmises au Médiateur de la République, services centraux et délégués, a augmenté de 16 % par rapport à 2008. Cela représente un total de 76 286 affaires reçues. La Médiature y répond grâce à son réseau : 100 collaborateurs au siège, à Paris, 281 délégués et 419 points d’accueil sur l’ensemble du territoire. Pour plus d’efficacité, l’institution s’est dotée de nouveaux outils, tels qu’une plateforme téléphonique et des sites Internet avec saisine en ligne. Nous avons développé les médiations physiques. En arrivant, j’avais dit à mes collaborateurs, vous aurez peut-être à travailler deux fois plus mais je voudrais que vous soyez trois fois plus heureux. Nous avons travaillé aussi en interne sur notre système de management. Nous devons être exemplaires."

source : Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République : «Il ne faut pas que le vote de la loi donne l’illusion de l’application de la loi» (La Lettre du Service Public, 2 avril 2010)

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Marc Guidoni