jeudi 26 octobre 2017

Le pape ça va, avec une croix bonjour les dégâts.

Après plusieurs décisions contradictoires, et dans la ligne de sa jurisprudence sur les crèches d’octobre 2016, le Conseil d’Etat a tranché sur l’installation d’une croix en surplomb d’une statue du pape Jean-Paul II érigée sur une place communale. Un contentieux bretonnant, mâtiné de libre pensée et de prosélytisme, où rien ne nous sera épargné à part le mot « ostentatoire », finalement écarté.

Une croix ostentatoire sur une statue monumentale

Une statue du Pape Jean-Paul II, offerte par le sculpteur Zurab Tsereteli (personnalité plutôt sulfureuse), a été inaugurée en décembre 2006 (oui oui, 2006), sur la place portant son nom. Depuis lors, un collectif de défenseurs de la laïcité n’avait eu de cesse d’obtenir son retrait. Face à eux, l’association « Touche pas à mon Pape ».


Un premier jugement du TA de Rennes obtenu le 31 décembre 2009 avait permis aux libres penseurs l’annulation d’une subvention du Conseil départemental du Morbihan, les 4 500 € nécessaires à la réalisation du socle de la statue et d’un obélisque sur le rond-point. En cause : l’article 28 de la loi de 1905, qui interdit d’apposer un signe religieux sur les monuments publics ou sur un emplacement public autre que les édifices servant au culte. En effet, le juge administratif constate l’existence, sur l’arche qui surplombe la statue, d’une croix qu’il juge de caractère ostentatoire, en raison de sa dimension. Un échec toutefois, pour les requérants, l’objectif restait le retrait de la statue.

Le 30 avril 2015, le TA de Rennes fera finalement droit à la demande de retrait pur et simple sous 6 mois, avant que le 15 décembre 2015, la Cour administrative d’appel de Nantes annule son jugement : l’édification de la statue de Jean Paul II sur la place publique ne méconnaît pas par elle-même le principe de laïcité (le pape n’est pas un « symbole religieux »), mais l’apposition d’une croix au sommet du monument oui.

Ce type d’argumentation ne surprendra plus que le quidam, tant les habitués des questions de laïcité ont pu prendre l’habitude de lire, dans la jurisprudence administrative, à la fois une position ferme et des positions au cas par cas qui semblent parfois, lors d’une lecture superficielle, friser la schizophrénie.
Gageons que cette décision ne manquera pas de provoquer les mêmes délires. D’autant plus que, bien que parfaitement équilibrée, elle semble difficile à mettre en œuvre sur le plan pratique.

La décision du Conseil d’État

Par sa décision du 25 octobre 2017, le Conseil d’État fait donc partiellement droit aux demandes des requérants.

Passons sur les considérations techniques relatives aux décisions contestées, l’arrêt de la CAA de Nantes est annulé sur la partie tendant au retrait de la croix et de l’arche surplombant la statue du pape Jean-Paul II. Concernant le refus de retirer la statue l’arrêt est confirmé. En clair, ni la statue ni l’arche ne portent atteinte à l’article 28 de la loi de 1905.

Par contre, s’agissant de la croix surplombant l’œuvre, le juge considère que dès lors que la croix constitue un signe ou un emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et que son installation par la commune n’entre dans aucune des exceptions ménagées par cet article, sa présence dans un emplacement public est contraire à cette loi. L’injonction de retrait prononcée par le TA de Rennes en 2015 devra être exécutée.

L’affirmation d’un patrimoine culturel confessionnel laïque

Outre une question de domanialité rapidement écarté, la commune faisait valoir en défense deux arguments. D’abord le caractère d’œuvre d’art de l’ensemble du monument : socle + statue + arche + croix, espérant obtenir une protection des droits de l’artiste sur l’ensemble de l’œuvre, jugée d’un seul tenant. Or, le dossier permet d’affirmer que la décision de faire surmonter la statue d’une arche et d’une croix est distincte de celle d’installer la statue.

Autre chose, le fait que la croix constituerait l’expression d’une forte tradition catholique locale, argument relayé par l’association « Touche pas à mon pape » sous une injonction paradoxale : « ce n’est pas la statue le problème, c’est sa croix : si on commence à toucher aux édifices religieux, on s’attaque à notre culture ».

C’est en toute simplicité sur le fondement de l’article 28 que le Conseil se borne à constater l’élévation d’une croix par une commune, élévation impossible sur une statue située sur la place publique au nom du principe de neutralité qui s’oppose à toute manifestation de reconnaissance d’un culte ou de préférence religieuse.

Le pape et l’arche ne sont pas évalués en tant que matériel religieux, tandis que la croix ne peut qu’être identifiée comme un symbole religieux. Le Conseil emprunte alors les voies impénétrables de sa jurisprudence « crèches de Noël ».

La croix n’est pas un élément de décoration comme les autres

Représenter le Pape sur une œuvre d’art n’a pas à proprement parler de vocation religieuse. Successeur de Pierre, évêque de Rome et garant de l’unité de l’Eglise, il est aussi un chef d’Etat, monarque de l’Etat du Vatican. Jean-Paul II a été un pape au règne long et marqué par des prises de position qui ont laissé des traces dans le débat public en France. Marqué par l’histoire, sa personnalité ne saurait se réduire à sa dimension religieuse. Etudiant, il luttait contre la propagation des idées nazies par le théâtre et a commencé sa formation de prêtre dans la clandestinité durant la guerre. Opposé à l’idéologie communiste, il est admis partout que son action en faveur de la dignité humaine et de la promotion des droits de l’homme va contribuer à l’effondrement du bloc de l’Est. Élever une statue à sa mémoire est certes un geste politique situé, mais pas plus à mes yeux que de nommer un gymnase ou un théâtre « Youri Gagarine » ou « Simone Veil ».

La croix est un symbole représentant l’intersection de deux lignes. Elle peut prendre de multiples formes. Adoptée par les chrétiens au IVème siècle (après d’autres comme le poisson), elle représente l’instrument du supplice de Jésus. Elle est aussi un symbole universel de rayonnement (feu), que l’on retrouve dans de nombreuses civilisations et n’a pas de fonction obligatoirement religieuse.

« Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année.
Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public. » (Tribunal administratif de Lyon 5 octobre 2017)

A ne pas en douter, les divers commentaires de l’ancien Maire, les arguments opposés par la commune et l’action de l’association « Touche Pas à Mon Pape » semblent finalement avoir pesé sur l’appréciation du contexte de l’installation de la statue de Jean Paul II.

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Marc Guidoni