jeudi 10 mars 2016

Et si la France était plus laïque ? Je suis pour. (intégrale)

(version intégrale mais moins documentée de la série de billets publiée au mois de mars 2016)

Il y a quelques jours, le pape François a lancé cette formule-choc qui vient s’ajouter à la liste de ces petites phrases qui, en le rendant sympathique aux médias, ont interpellé sinon mis mal à l’aise les catholiques français. "La France doit devenir un Etat plus laïque" Quel blagueur ce François...

Le Pape s'est donc invité dans l’un des plus ardents débats qui animent la République en lançant un appel surprenant, à nouveau à contre-courant. Quelle étrange déclaration pour le catho-gallican exhorté chaque dimanche à résister, par sa vie et la prière, contre cette République anticléricale et ses lois scélérates ! Mais aussi pour un éditorialiste radical, ambiance "de quoi je me mêle tu ferais mieux de te préoccuper des prêtres pédophiles !"

Un appel d’autant plus déstabilisant que pas une seule semaine ne passe sans qu’un hebdo ne titre sur la Laïcité, appelant plus souvent à une rupture définitive entre la société et la vie intérieure, par essence privée et personnelle. Quelques citoyens tentent bien de convaincre, invitant à la coexistence pacifique par la connaissance et la compréhension de l’autre. D'autres osent rappeler le rôle des croyants dans les progrès de la société, las… les confusions entretenues par les éditorialistes entre foi et crimes abjects, passés ou actuels, font leur œuvre.

Ce n'est plus le temps des deux France, Les camps qui s’affrontent avec des arguments guère neufs dépassent les clivages traditionnels et mobilisent des porte-parole inattendus. La droite comme la gauche ont trouvé des avocats plaidant pour la disparition de toute référence religieuse dans la société. Le porc revient dans le menu des cantine et, nostalgie du calendrier républicain, on propose de changer le nom des vacances de Noël, ou encore de renommer les 50 stations du métro parisien qui commencent par « saint ».

Sur les réseaux sociaux, les déclarations à l’emporte-pièce achèvent toute tentative de réconciliation autour d’une conviction efficace : le croyant est un homme de complot, qu’il s’agisse, selon l’Histoire, de rétablir la monarchie, de contrôler les mœurs, d’asservir la femme ou de faire sauter une bombe. Oui, dans notre pays, le moins religieux du monde (près de la moitié de la population se déclare non croyante), tout élan spirituel de l’Homme est dénoncé comme une aliénation.

Alors oui, il est urgent de rétablir la laïcité dans ce qu’elle est, ni plus ni moins ni mieux. Pour y parvenir, au risque surprendre ou de faire réagir, voici quelques affirmations simples.

1/ la laïcité est un principe juridique.

En France, la laïcité est un principe d’organisation politique et juridique qui assure la neutralité l’Etat face aux religions.

Ce n’est que cela, et c’est tout cela. De ce fait, il n’est pas inutile de rappeler que la laïcité est un dispositif très favorable aux religions. Elle permet à toutes, ainsi qu’aux athées et aux agnostiques, de s’exprimer en toute liberté et sécurité ; y compris dans l’espace public. Et non, le prosélytisme n’est pas interdit.

De ce fait, et dans un certain nombre de situations identifiées, la République se fait acrobate pour permettre aux croyants de croire, mais aussi de témoigner de leur foi, y compris dans l’espace public, sans toutefois que l’ordre public soit troublé.

Le juge, tel Monsieur Loyal de ce que certains pourraient considérer comme un grand cirque religieux, s’assure régulièrement de cet équilibre (j’en tiens chronique sur ce blog, accès via le mot-clé « laïcité »).

2/ La laïcité n’est pas une conviction (arrêtez de crier, je vous entends...)

Soyons précis… L’anticléricalisme est une conviction. Vous me direz, c’est forcément lié. Oui (le sens de l’histoire)... mais, non… 

Ailleurs qu’en France, en Belgique par exemple, le « courant laïque » est élevé au sens strict au statut de conviction, ouvrant des droits à ceux qui le pratique, comme à n’importe quel croyant. C’est subtil… pour sauvegarder la liberté des agnostiques, la non-croyance est devenue une sorte de foi.

En France, et malgré les protestations que j’entends monter d’ici, personne n’est « laïque » comme on serait protestant ou agnostique. Bien évidemment, on peut largement investir par conviction profonde des structures associatives qui ne cachent pas leur anticléricalisme primaire, voire secondaire. C’est sans effet sur la liberté religieuse que la neutralité de l’Etat assure, et même, puisqu’ils n’ont pour se regrouper ni culte ni procession, voici nos non-croyants moins bien lotis que les croyants.

3/ La laïcité est un combat politique

Après 1789, pour protéger la jeune République il fallait soustraire la décision politique à l’influence du clergé. C’est ainsi que, longtemps, le droit de vote sera refusé aux femmes, principalement par les forces de gauche, de peur que leur fragile conscience ne s’émancipe pas des prédications dominicales dans l’isoloir.

Au nom des mêmes risques pesant sur la démocratie, la science et le progrès social, le catéchisme fut bientôt chassé de l’école : aucun savoir ne devait être troublé par des récits bibliques, tandis que paradoxalement une morale d’inspiration évangélique était professée par les instituteurs... qui ne pouvaient être recrutés parmi les catholiques (jusqu'à ce que le Conseil d'Etat réfute une incapacité de principe en 1939 arrêt Demoiselle Beis).

Malgré les violences insensées perpétrées contre le clergé et les religieux lors des inventaires qui suivirent la loi de 1905, la guerre de 14 devait réconcilier la République et les églises, pour remonter le moral des troupes ou encore honorer les soldats des Colonies (la construction de la Grande Mosquée de Paris viendra en effet saluer le sacrifice des 100 000 soldats musulmans tombées pour la France).

Ainsi, la France républicaine s’est-elle malgré tout bâtie au son des cloches des églises, grâce aux baïonnettes de tirailleurs ou aux bras de travailleurs musulmans, et avec une conscience précise de ce qu'est l'humanité à travers les témoignages des survivants de la Shoah. Et tout allait bien. jusqu’à l’arrivée du voile islamique dans un collègue de banlieue, et de la viande hallal dans les supermarchés.

La France sécularisée est depuis sans réponse aux questions que posent ces nouvelles revendications de croyants. Pour les écarter, elle les a d'abord dénigrées, négligées. Mais ce que nous identifions alors comme des manifestations d’un noyau d’intégristes s'est répandu, au point d'être désigné comme "marqueurs identitaires" menaçant l’unité de la République. Au point que nos adolescents forment le projet dément de partir de battre en Syrie...

Impuissante à intégrer une partie de la population, la République a-t-elle condamné certains de ses enfants à conquérir leur place dans la société en utilisant la religion ? La religion pour lutter contre un impérialisme occidental dont les valeurs profanes sont désignées comme des facteurs d'oppression ou tout au moins de déclassement. Ne nous trompons pas de combat : la laïcité ne réglera pas le problème du chômage et de l'exclusion.

4/ La laïcité est un horizon

Les mêmes qui rappellent que la laïcité de la Révolution était anticléricale oublient souvent de témoigner de l'idéal universel que portaient les Lumières : l’intérêt général. Cette forme de bien commun, qui succédait au bon vouloir du Roi, était conjugué alors au présent et au futur, comme le projet d’une société plus juste et plus solidaire. C'est cet idéal qui imposait une rupture avec les temps anciens, et dessinait un dessein partagé par tous les hommes, croyants ou non. Pas celui de détourner l'homme de toute idée de transcendance. En affirmant la liberté religieuse, et en pratique en retirant l'état civil à l'Eglise, la Révolution libérait le peuple du contrôle politique que le clergé exerçait sur la population, elle n'entendait pas nécessairement la priver de dieux. Libres, libres de croire ou libre de ne pas croire... mais tous ensemble.

Après un siècle d’hésitations, c’est pour rendre réaliste cet "intérêt général" que la loi de 1905 a fondé le principe de séparation et ainsi ancré la République, en large partie par la neutralité du service public qui a structuré l'action publique.

Mère des victoires de la République sur toutes les idéologies qui ont tenté d’anéantir toute idée d'humanité, la laïcité constitue ainsi le socle de la société démocratique et pluraliste "à la Française". Plus que partout ailleurs dans le monde, elle a libéré les consciences, favorisé une vie sociale paisible, créé des ponts entre toutes les composantes de la société, et elle doit être reconnue comme un facteur positif de cohésion et de communion nationale.

Ne nous laissons pas entraîner. La laïcité que l’on nous sert comme absolu n'est pas celle-là. Elle est un proche horizon un monde aussi aseptisé que la nourriture sans saveur des cantines scolaires. Elle est un dénominateur minimaliste qui propose d’assurer en toute sécurité la coexistence anonyme d’amas de cellules réduit à la condition de consommateurs.

La laïcité que nous vantent les journaux n’est ni l’étincelle qui alluma le feu des libertés républicaines, ni la paix retrouvée dans les tranchées de la Ders des Ders, ni l’humanité réconciliée après les camps de la mort. Elle n'est pas non plus la tradition accueillante du regroupement familial. Au nom de la sainte liberté individuelle, elle est celle qui censure, celle qui exclut celui qui vit ou pense différemment. Elle contraint à l'isolement, qui nie la liberté intérieure.

La laïcité que revendiquent certains n'est pas la liberté de conscience, mais un abri commode pour développer le projet d'une France composée de communautés qui vivront en marge de la société. Chacun aurait sa loi, ses droits, son identité, au mépris d'un projet commun.

La laïcité que l’on essaie d’imposer dans le débat public n’est pas un principe juridique. Elle n’est pas un projet politique, pas non plus une conviction et plus grave encore : elle n’est pas un horizon. C’est l’anti-Histoire, un trou noir dans lequel notre République est promise à la dispersion.

Alors que faire ? Eh bien justement... être plus laïque : fonder notre vie sociale sur le respect de l'autre, au lieu d'exiger d'abord d'être soi-même respecté. Finalement, peut-être que la laïcité doit être une valeur. Celle qui nous unit ?

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Cordialement,
Marc Guidoni