jeudi 9 janvier 2014

Dieudonné delenda est

Dieudonné ne me fait pas rire. Quand on sème le racisme, l'antisémitisme et la haine, on récolte la tempête médiatique. Mais que le Conseil d'Etat flingue 80 ans de jurisprudence (arrêt Benjamin du 19 mai 1933), ça me sidère. D'autant que, comme j'ai pu le lire sur Twitter, "interdire n'est pas punir".

Après les passions déchaînées par le juge administratif le 9 janvier (une fois n'est pas coutume), jetons un œil aux arguments du juge des référés... dont je souligne les paragraphes les plus délicieux.


Ordonnance du 9 janvier 2014
Ministre de l'intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala
[...]


4. Considérant que l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés; qu'il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion; que les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées;

Avouez que ça rassure. C'est le cadre, rien à dire, et surtout la CEDH n'y verra rien de mal. En effet, chaque article de la convention européenne que chaque Etat conserve la possibilité de réglementer un droit ou une liberté par des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Et pourtant, comment ne pas remarquer qu'après ces prémisses, le juge va se lancer dans une attaque en règle contre la libre expression !

5. Considérant que, pour interdire la représentation à Saint-Herblain du spectacle « Le Mur », précédemment interprété au théâtre de la Main d'Or à Paris, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que ce spectacle, tel qu'il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale; que l'arrêté contesté du préfet rappelle que M. Dieudonné M'Bala M'Bala a fait l'objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature; qu'il indique enfin que les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l'ordre public qu'il serait très difficile aux forces de police de maîtriser;

C'est ce qui rend légitime la décision : l'atteinte à la dignité humaine à travers des propos qui attisent la haine, et un climat de vive tension qui serait difficile à maîtriser. En résumé, le spectacle est un ramassis d'incitations à la haine qui ne devrait attirer l'attention de personne. Et l'auteur, condamné à 9 reprises par la justice, ne devrait pas avoir l'occasion de remonter sur scène. Mais nous sommes dans une société libérale : tant qu'il a un public, il parle. Peut-on rendre sourds les crétins qui l'écoutent ? Des éditorialistes prestigieux l'ont dit : pour arrêter Dieudonné, il suffit de le laisser parler. Par ailleurs, interdire un spectacle est la négation même des idéaux pour lesquels nombreux sont ceux qui se sont battus, en premier lieu durant les périodes sombres de l'Histoire que l'intéressé conteste.

6. Considérant que la réalité et la gravité des risques de troubles à l'ordre public mentionnés par l'arrêté litigieux sont établis tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l'audience publique; qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine; qu'il appartient en outre à l'autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises; qu'ainsi, en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l'ordre public et sur la méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l'État de veiller, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas commis, dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative, d'illégalité grave et manifeste;

Tout est dit. Nous sommes sûrs qu'il proférera ce soir des paroles que le pacte républicain ne peut souffrir être prononcée sur le sol français. Il doit se taire. Même devant une salle vide. Et le Préfet, nouvel agent d'une police administrative de prévention, peut obtenir ce silence, au nom de la dignité qui jadis interdit aux nains de se faire lancer.
Bref, tout cela semble légitime.

Mais le problème, Mesdames Messieurs, n'est-ce pas plutôt que ce soir, plus de 5000 personnes attendaient à Nantes que ce type énonce ses scandaleux propos ? Quand vous déciderez-vous à vous en occuper ? Car ce que dit ce cuistre se combat par l'humanité, la considération de l'autre... en un mot par l'éducation. Mais ce n'est pas la même responsabilité...

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Cordialement,
Marc Guidoni